Né au Touquet le 17 juin 1933, Christian Ferras est le troisième enfant d'Antoinette et Robert, hôteliers qui exercent durant la saison propice dans le Pas-de-Calais mais vivent le reste de l'année à Nice. Il débute l'étude du violon avec son père, un ancien élève de Marcel Chailley.
En 1941, Ferras entre au Conservatoire de Nice dans la classe de Charles Bistesi qui a étudié chez César Thomson à Bruxelles. Trois ans plus tard, il y obtient le Premier Prix d'Excellence de violon, le Premier Prix de musique de chambre, ainsi que le Prix d'Honneur de la Ville de Nice.
Après ces distinctions niçoises, c'est le prestige de la capitale qui est convoité. Au mois d'août 1944, dans une France qui lutte pour sa libération, les Ferras entreprennent un voyage épique pour se rendre à Paris. Mais, la situation politico-militaire les retient à Mâcon pendant de longues semaines. Au début du mois d'octobre, ils arrivent enfin à Paris. Là, le benjamin de la famille est admis au fameux Conservatoire de la rue de Madrid dans les classes de René Benedetti pour le violon et de Joseph Calvet pour la musique de chambre.
Deux années d'études lui suffisent pour remporter, en juillet 1946, un Premier Prix dans les deux disciplines, premier nommé à l'unanimité en violon.
C'est directement à la suite de ces lauriers que commence, à 13 ans, la carrière de Christian Ferras.
En octobre 1946, ce sont les grands débuts à Paris. Avec l'Orchestre Pasdeloup sous la direction d'Albert Wolff, il joue la Symphonie espagnole de Lalo et, la semaine suivante, le Concerto de Beethoven. En 1947, toujours à Paris, avec les mêmes musiciens il joue le Concerto de Brahms. Quelque temps après, c'est avec le Concerto de Beethoven et Paul Paray à la direction de l'Orchestre Colonne que le jeune prodige enchante la capitale.
Son succès ne l'empêche pas de poursuivre sa formation. Il s'imprègne de l'enseignement, hérité de la vieille Russie, prodigué par Boris Kamenski. Ce violoniste à la cour du Tsar s'est installé à Paris après la révolution de 1917. Mais, en 1947, Ferras fait une rencontre déterminante. Il commence à travailler avec George Enesco, musicien de génie pétri d'humanité.
Cette même année, à Londres pour la firme Decca, il réalise son premier enregistrement : le Concerto de Federico Elizalde sous la direction de Gaston Poulet. C'est aussi une création mondiale au disque, détail peu banal pour un novice, si jeune de surcroît.
Au mois de mai 1948, le jury du Concours International de Scheveningen, présidé par Yehudi Menuhin, décerne deux Premiers Prix. L'un à Christian Ferras, plus jeune concurrent de l'épreuve, l'autre à Michel Schwalbé, violoniste déjà chevronné. C'est lors de ce Concours que Ferras rencontre le pianiste Pierre Barbizet avec qui il va former l'un des plus fameux tandems violon - piano de l'histoire.
Le 16 novembre 1948 à la Salle Gaveau, Ferras donne en première audition française la Sonate pour violon seul d'Arthur Honegger. Dans un texte de présentation de ce concert, Honegger décrit son œuvre et se montre enchanté qu'elle ait retenu l'intérêt d'un des plus grands jeunes violonistes.
En état de grâce, Ferras remporte le Concours International Long - Thibaud de 1949, avec un Second Prix (le Premier Prix n'est pas attribué).
La carrière de Ferras prend une nouvelle dimension lorsqu'il est invité au mois de novembre 1951 en Allemagne par Karl Böhm. Avec lui, il y joue notamment le Concerto de Beethoven au Titania Palast de Berlin avec l'Orchestre Philharmonique. Cette même année est marquée par un enregistrement pour le moins étonnant puisqu'il réunit deux créations mondiales au disque : le Concerto Double d'Ivan Semenoff, avec le compositeur au pupitre et Pierre Barbizet au piano ; le Concerto de Estio de Joaquin Rodrigo sous la direction de Georges Enesco, après une première audition française en concert avec le chef Ataulfo Argenta.
Ferras donne d'innombrables concerts dans le monde : Japon, Afrique, Amérique du Sud, Europe...
Son premier disque qui connaît un véritable retentissement est enregistré au mois de mai 1954 : le Concerto de Brahms avec Karl Schuricht et l'Orchestre Philharmonique de Vienne.
Cette année, grâce au luthier Etienne Vatelot, Ferras fait l'acquisition du violon Le Président, un Stradivarius de 1721.
Un coffret microsillon de Decca - Hommage à J.-S. Bach, les Concertos pour piano(s ), Georges Enesco dirige - paraît en 1955. Parmi les instrumentistes, on trouve Céliny Chailley-Richez au piano, Jean-Pierre Rampal à la flûte et… Christian Ferras. C'est aussi une manière d'honorer l'immense musicien roumain, décédé le 4 mai 1955 à Paris.
1956 est l'année d'une rencontre majeure, celle que le jeune artiste fait avec Herbert von Karajan pour exécuter le Concerto de Brahms le 24 février à Vienne. Le mois précédent, c'est avec Ernest Ansermet, à la tête de son Orchestre de la Suisse Romande, que Ferras a commencé une autre collaboration nouvelle.
Il quitte la maison de disque Decca, et au mois de mai 1957 débute les enregistrements chez EMI par les Concertos de Mendelssohn et de Tchaïkovski avec Constantin Silvestri et le Phiharmonia Orchestra.
En 1958, outre qu'il crée le Concerto Hongrois de Gyula Bando, Ferras enregistre avec Pierre Barbizet l'intégrale des Sonates de Beethoven, disque dont la renommée n'a pas décliné. C'est aussi durant cette année qu'il grave le Concerto "A la mémoire d'un ange" d'Alban Berg, oeuvre qu'il défend avec passion.
Année faste : 1959 ! Christian Ferras fait ses grands débuts aux Etats-Unis en jouant le Concerto de Brahms sous la direction de Charles Munch. Ensuite, il enregistre pour EMI le Double Concerto de Bach avec Yehudi Menuhin. En été, Ferras est un partenaire radieux de Pablo Casals et de Wilhelm Kempff au Festival de Prades.
Le 3 décembre à Paris, il épouse Béatrice Martellière, ex-femme du chef d'orchestre Georges Sebastian.
Bien qu'il soit jeune, c'est en artiste accompli qu'il entre dans la décennie 1960, celle de sa gloire. Le 27 mai, il crée le Concerto de Serge Nigg, qu'il décrit "pour et non contre le violon", et trois jours plus tard, en concert au Théâtre des Champs-Élysées, fête les dix ans du duo Ferras - Barbizet.
Les tournée, les émissions de radio et de télévision, les concerts, les enregistrements, les voyages, les récitals se succèdent. Il est reparti aux Etats-Unis où il a triomphé ; avec le violoncelliste Paul Tortelier et Paul Kletzki à la baguette, il grave un émouvant Double concerto de Brahms ; le festival de Prades a retrouvé son plus distingué représentant de l'école française de violon … tout s'enchaîne à un rythme effréné.
En 1963, Barbizet ralentit son activité de pianiste après sa nomination à la direction du Conservatoire de Marseille. Ferras en prend un peu ombrage : on va répéter par téléphone ? proteste-t-il. Malgré cet inconvénient, il vit une année exceptionnelle. A Rome, le 20 avril, il joue devant le Pape Jean XXIII. Il y ressent l'une des plus fortes émotions de sa vie, à la fois d'homme et d'artiste. Au mois de septembre, à l'Odéon d'Hérode Atticus lors du Festival d'Athènes, avec Karajan et le merveilleux violoncelliste Pierre Fournier, il donne un Double concerto de Brahms que l'on rêverait d'entendre. En décembre, il est l'invité de Bernard Gavoty pour l'émission de la Télévision française Les grands interprètes.
Dès 1964 commencent les somptueux enregistrements chez DG, avec Herbert Von Karajan et l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Vingt Concertos sont prévus. Seuls six sont réalisés : Brahms, Sibelius, Tchaïkovski, Beethoven, et les deux de Bach.
Toutefois, chez DG, avec Pierre Barbizet, d'autres merveilles sont fixées sur les bandes. Les Sonates de Brahms, de Schumann, de Franck et de Lekeu font définitivement partie de l'anthologie de l'interprétation des duos violon - piano.
Dès 1966, par l'intermédiaire d'Etienne Vatelot, Ferras acquiert un violon de légende : le Milanollo - Teresa, un Stradivarius de 1728.
Le 10 juin 1967, sa notoriété lui offre le privilège d'être le violoniste invité par le roi de Danemark à jouer pour les noces de la princesse Margarethe. L'année suivante, c'est l'impératrice Farah Diba, femme du Chah d'Iran, qui lui remet en personne le Grand prix du Festival de Persépolis.
Ferras est le soliste invité à la première tournée aux Etats-Unis de l'Orchestre de Paris. Le fondateur et chef de l'ensemble, Charles Munch, y meurt subitement le 6 novembre 1968. Ferras en est bouleversé. De retour en France, le 28 novembre il est reçu à l'Hôtel de Ville de Paris pour y recevoir l'un des Prix de l'Académie du disque français. La dernière séance avec la firme DG a lieu en décembre 1968 : des petites pièces où Jean-Claude Ambrosini est au piano.
L'Allemagne, Israël, la France, la Suède, la Suisse, l'émission de télévision Musique pour vous, le Festival de Prades, le Concours Long - Thibaud comme juré, des concerts radiodiffusés : l'activité reste frénétique en 1969. Christian Ferras est demandé partout, dans tous les pays, dans toutes les salles, par tous les chefs…
Mais, le destin change de cap. Conjointement à ces envolées vers l'Olympe, un mal pernicieux, jusque-là occulté, s'est petit à petit installé, puis a émergé : l'alcoolisme que renforce un état moral de plus en plus fragile.
Durant toute la décennie 1970, son activité de concertiste diminue considérablement. Sa santé est chancelante. Ferras passe de cures de désintoxication à des tentatives de relancer sa carrière. Nombre de ses contrats ne sont pas honorés. C'est aussi une traversée du désert discographique qui a commencé. Les firmes le lâchent, hormis la Guilde du disque qui lui assure les ultimes enregistrements de sa longue carrière.
Quelques rémittences permettent à certaines joies de succéder aux peines. Vingt-cinq ans d'accord parfait ! titre le Figaro pour annoncer le concert anniversaire du duo Ferras - Barbizet, le 25 novembre 1974 au Théâtre des Champs-Élysées.
En 1975, Ferras est nommé professeur au Conservatoire de Paris, poste qu'il tient le plus vaillamment possible, même si l'enseignement n'est pas une démarche naturelle pour lui. Il participe à plusieurs académies d'été, notamment à celles de Nice et de Saint-Jean-de-Luz.
Après une longue éclipse, il revient sur la scène parisienne le 9 mars 1982. Alain Lefèvre est au piano. Mais son véritable retour à lieu le 6 mai à la salle Gaveau. Avec Pierre Barbizet il donne un concert mémorable devant le Tout-Paris. Les mélomanes et les critiques sont rassurés. Mais le terrible mal se tapit dans l'âme. Malgré le succès du récital et l'espérance d'un retour sur le devant de la scène, Ferras est au plus mal. Il donne le dernier concert de sa vie le 25 août 1982 à Vichy. Moins de trois semaines plus tard, le 14 septembre 1982, Christian Ferras met fin à ses jours. Il est inhumé au cimetière de Cachan.
Rares sont les violonistes qui marquent de leur empreinte les grandes œuvres.
Le nom de Ferras est indéfectiblement associé aux Sonates de Franck, de Lekeu, de Debussy et de Fauré, dont il est un admirable serviteur ; à celles de Schumann, de Brahms et de Beethoven qu'il magnifie de ses exécutions impétueuses. Pour toujours, il figure en tête des interprètes des Concertos de Bach, de Beethoven, de Mendelssohn, de Bruch, de Brahms, de Tchaïkovski, de Sibelius et de Berg. Il est aussi l'incontournable violoniste du Poème et du Concert de Chausson, de la Symphonie Espagnole de Lalo et de Tzigane de Ravel, toutes musiques qui s'embrasent sous ses doigts passionnés. Ferras espérait enregistrer Bartók, Prokofiev, Stravinsky. Autant de compositeurs dont il a transcendé les oeuvres. Artiste de son temps, il est le créateur de nombreuses partitions.
Etendard du violon franco-belge, Ferras l'est donc, mais à sa manière. Grumiaux perpétue la tradition. Ferras transfigure ce répertoire. Peu de violonistes savent insuffler une telle fièvre à cette musique. Bien qu'il se soit qualifié lui-même de dernier représentant de l'Ecole française, Ferras réalise une sorte de synthèse de différentes influences. Progressivement, son style est devenu le " style Ferras ", mélange unique et contrasté de jeunesse, de consistance musicale, d'intensité et d'intuition.
Les vibratos n'altèrent jamais la justesse. Roboratifs ou dramatiques, ils se maintiennent même dans les changements de positions. La variété des coups d'archet et l'originalité des doigtés servent la sonorité, puissante, et l'expression. Dans tous les registres, persiste le grain moelleux du timbre. Les graves plantureux répondent aux aigus chatoyants. Le naturel de ce jeu direct émerveille.
Pour Ferras, chaque note est importante. Il la joue comme si elle était la dernière, avec une émotion, à fleur de peau, qui vient du tréfonds de son être. Les concerts sont des aventures au cours desquelles il prend tous les risques.
Ferras fait partie de ces violonistes mythiques dont l'avènement s'est produit durant la première moitié du vingtième siècle. Chacun d'eux, avec un style personnel, a marqué la technique du violon et l'interprétation du répertoire. Pionniers du disque, grâce à ce nouveau moyen ils ont immortalisé leur son, leur manière, et promu leur carrière.
Détenteur de neuf Grand Prix du disque, Chevalier de la Légion d'honneur, de l'ordre national du Mérite, des Arts et des Lettres, Ferras ne laisse aucun écrit et n'a fondé ni société, ni ensemble, ni concours.
Christian Ferras figure parmi les plus grands violonistes de tous les temps. Son chant ultime - les enregistrements - authentique testament, est accessible à tout mélomane.
Il s'est brûlé les ailes pour nous livrer les ardentes sonorités de son violon : celles du cœur et des sens…
Tel est, pour l'éternité, l'art de Christian Ferras.
Thierry de Choudens
Biographie extraite du site internet : http://www.associationferras.com