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compositeurs > Mozart Wolfgang Amadeus (1756 - 1791)


         Depuis au-delà de deux siècles, l’histoire a été racontée maintes fois : Mozart, ce phénomène incomparable de la nature incarné dans un enfant espiègle qui produisit des chefs-d’œuvre avant l’âge de 10 ans mais qui a été un incompris perpétuel et qui a été reconduit, par négligence, à une sépulture de pauvre. Il s’agit de l’une des plus tragiques et des plus poignantes histoires que l’on puisse retrouver dans le domaine de la musique. Mais une bonne partie de cette histoire n’est pas véridique. De façon certaine, Mozart a été un prodige qui n’a pas eu d’égal, écrivant ses premières symphonies à l’âge de 8 ans et son premier opéra à l’âge de 12 ans. Schubert et Mendelssohn ont produit des œuvres plus originales et plus importantes dans leur adolescence que ne le fit Mozart. En contraste avec Schubert, l’atteinte de la maturité a été plus lente à survenir chez Mozart et celui-ci a dû travailler avec grands soins (toutefois, rapidement); la plupart de ses grandes œuvres ont été produites durant les dix dernières années de sa vie.

          Durant cette décennie, il fut respecté comme tout autre compositeur et a été rémunéré en conséquence, obtenant plus que Haydn ne reçut durant la plus grande partie de sa carrière. Souvent, il reçut le double des cachets normalement versés pour écrire un opéra. Il manqua quelquefois d’argent, comme il arrive à toute personne ayant atteint une certaine notoriété, suite à une combinaison de mauvaise gestion et de malchance. Les lettres de supplication qu’il écrivit à des amis au cours des dernières années sont certainement pathétiques; mais, au moment de sa mort, il avait presque remboursé toutes ses dettes, et était, à la mi-trentaine, en voie de devenir réellement prospère.

         Au cours de la dernière année de sa vie, alors que la légende veut que Mozart était sur le point de mourir de faim, il a probablement connu sa meilleure année, au plan financier, alors qu’il a eu des revenus équivalents à 100,000$. Comme toute autre personne, il a eu ses succès et ses ratés, il était loin d’être un incompris. Un critique allemand contemporain qui dénonçait Don Giovanni comme étant quelque chose qui « attaquait la raison, insultait la moralité, et affreusement mêlait la vertu et les sentiments », se sentit obligé d’ajouter « si jamais une nation devait être fière d’un de ses fils, l’Allemagne se devait d’être fière de Mozart… Jamais, mais jamais auparavant, la grandeur de l’esprit humain n’a été aussi tangible, et jamais l’art de la composition n’a atteint des sommets aussi élevés ». Haydn, son seul pair vivant, disait que Mozart était le plus grand compositeur qu’il ait connu ou qu’il ait entendu.

         En son temps comme aujourd’hui, Mozart inspire la même réputation pour plus ou moins les mêmes raisons - un génie incomparable et un modèle pour le futur. Ce n’est que le 19e siècle qui ne le comprenait pas, tant sa musique que sa vie, et qui insista pour que son histoire devienne une grande tragédie romantique.

         Au niveau de sa personnalité, alors qu’il est vrai que Mozart a écrit quelques lettres particulièrement pornographiques à des amis et à sa famille, et qu’il ait une propension à gambader comme un enfant même rendu à un âge adulte, d’autres lettres et des rapports contemporains révèlent un homme d’une finesse d’esprit immense et d’une vitalité intellectuelle, parlant plusieurs langues, un observateur averti tant des hommes que des idées, et un artiste attentionné capable d’analyser sérieusement son propre travail et celui des autres. Et comme coup final à la légende de Mozart, il a été enterré de la même manière que l’aurait été tout viennois de son temps, riche ou pauvre. La « tombe de pauvre » n’est qu’un autre mythe.

         Posons-nous deux questions. La première : Étant donné que les dieux confèrent, alors et aujourd’hui, des dons phénoménaux à un enfant, pourquoi Mozart est-il la seule personne à avoir reçu ces dons ? Cette question reste, évidemment, sans réponse. Mais la morale est que l’on ne peut attribuer entièrement Mozart qu’aux dieux. Il eut un professeur remarquable en la personne de son père, qui l’a entraîné et qui l’a exposé aux meilleures influences de son époque. Mozart a étudié la musique des autres compositeurs toute sa vie, apprenant des astuces qui ont guidé ses propres œuvres. Peu importe la confluence des forces qui ont moulé Mozart, elles lui ont permis de gravir toujours plus haut une échelle pour y atteindre un sommet dont il est le seul à avoir atteint.

         Et une seconde question : Pourquoi les mythes? Définitivement, il y a d’inévitables lacunes dans le récit historique et des déficiences dans l’interprétation de l’évidence. Mais plus significativement, le romantisme du 19e siècle et le modernisme du 20e ont façonné sa vie en une forme qu’ils auraient voulu qu’elle soit : tous les artistes sont négligés de leur vivant, ils sont des figures tragiques dont les œuvres ne sont comprises que dans le futur. En réalité, la plupart des compositeurs importants furent des figures de proue en leur temps, et tôt ou tard ils furent compris, même mieux compris de leur vivant qu’ils ne le sont à l’heure actuelle. La perspective des contemporains d’un artiste est toujours déficiente face à l’histoire; nous voyons Mozart et Beethoven en terme de leur influence sur le futur, une dimension restreinte à leur propre époque. Dans tous les cas, le génie ignoré est l’exception. Sur ce plan, seuls J.S. Bach et Charles Ives, et quelques autres se rapprochent de ce modèle.

         Il existe un autre mythe romantique et moderniste qui ne s’applique pas à Mozart : celui que tous les génies sont des originaux et des pionniers. Des trois maîtres suprêmes de la musique occidentale - Bach, Beethoven et Mozart - ce mythe s’applique uniquement à Beethoven, qui était en fait un révolutionnaire. Originalement Bach l’était certainement; mais la base polyphonique de sa musique était dépassée de son vivant, avec les conséquences adverses sur sa réputation. Dans sa musique comme dans sa vie, Mozart ne se sentait pas tellement concerné avec le futur. Il était heureux d’être un homme de son temps écrivant pour son temps.

         Il vécut dans cette courte période - autour de 1770 à 1800 - alors que le style musical occidental possédait une intégrité sans précédent, et que les goûts esthétiques étaient les mêmes à travers tout l’Europe. La langage musical de Mozart ressemble à celui de ses prédécesseurs classiques tels Haydn et Johann Christian Bach. Tout ce qu’il a écrit peut se classer dans un genre - symphonie, opéra, quatuor - qui avait une tradition et une série de normes et procédures auxquelles il a grandement adhéré. Il était à son meilleur lorsqu’il évoluait à l’intérieur des conventions classiques, sans s’y opposer. Il est possible que l’équilibre qu’il a atteint n’ait été possible qu’à l’intérieur de frontières d’une tradition si rigide.

          Sa relation avec ses pairs en est une de qualité plutôt que de style ou de personnalité. Si Beethoven nous enseigne le pouvoir de la vitalité révolutionnaire et de l’individualité sous un contrôle discipliné, et que Bach nous révèle le summum du potentiel de la créativité humaine, alors Mozart est la personnification de la possibilité de la perfection.

         Wolfgang Amadeus Mozart est né, dans la ville médiévale de Salzbourg , en Autriche, le 27 janvier 1756. Ses parents étaient Leopold Mozart et sa mère, Maria Anna. Leopold était un compositeur mineur attaché à la cour locale, et l’auteur d’un important ouvrage sur l’enseignement du violon. Dès que Leopold réalisa l’ampleur des talents de Wolfgang, son premier souci devint la carrière de son fils.

          Le miracle débuta lorsque Wolfgang, âgé de trois ans, réagissait aux leçons de musique de sa sœur, Nannerl, en répétant les airs sur le clavecin. Leopold commença à donner quelques leçons au bambin. Nous ne pouvons imaginer sa joie et son émerveillement à ce qui survint : le bambin semblait saisir tout ce qu’on lui montrait, comme s’il le savait déjà. Un jour, il prit un violon pour la première fois et commença à en jouer. À l’âge de cinq ans, il commença à composer de petits morceaux.

         Les débuts publics de Wolfgang - en compagnie de Nannerl, une prodige comparable au clavecin - eurent lieu à la cour de Munich en janvier 1762 alors qu’il n’était âgé que de six ans. Ensuite à Vienne, il joua pour l’impératrice Marie Thérèse après quoi, assis sur les genoux de l’impératrice, il fut proposé à la jeune Marie Antoinette. La nouvelle de ses performances traversa l’Europe; il était vu comme un phénomène scientifique, tout comme un singe parlant. Leopold a rapidement compris le potentiel de faire fortune tant pour son fils que pour lui-même.

         Ainsi débutait l’étrange et merveilleuse enfance de Wolfgang. À l’été de 1763, Leopold et ses enfants partirent en tournée qui allait durer trois ans et qui les mena dans toutes les cours et les salles de concert à travers l’Europe et Londres. À partir de ce moment et jusqu’à l’âge de quinze ans, Wolfgang passa la moitié de son temps en tournée. Il a été calculé qu’à la fin de sa vie, il aurait passé l’équivalent de quatre de ses trente-cinq ans en voiture.

         En d’autres mots, il était un enfant-spectacle et sa vie familiale était celle d’un cirque ambulant. La publicité que faisait Leopold à propos de ces représentations n’était pas subtile concernant le produit, quoiqu’il n’exagérait pas : « Il jouera un concerto pour violon, et accompagnera des symphonies au clavecin dont le clavier sera recouvert d’un drap… il identifiera instantanément toutes les notes jouées à distance… il terminera en improvisant aussi longtemps que désiré, et ce, dans n’importe clé ». En de telles circonstances, Wolfgang a grandi comme tout enfant de cirque de toutes les époques, avec une compréhension peu solide du sens pratique des choses. (Qualités que possédait Leopold en abondance oppressive. Rendue à l’âge adulte, Nannerl devint aussi pédante et pharisaïque que son père. Ils faisaient, de voix unanime, la morale à Wolfgang concernant ses schèmes et ses rationalisations; ils avaient, toutefois, souvent raison.)

         À partir de 1769, Leopold emmena Wolfgang en Italie à trois reprises. Au cours de ces visites, l’adolescent s’imprégna du style italien, étudia le contrepoint, et fit main basse sur plusieurs honneurs incluant l’ordre papal de l’éperon d’or. Ce dernier résultait de l’un de ses légendaires trucs : écrire, de mémoire, après deux auditions, la partition du célèbre Miserere d’Allegri, une composition que le Vatican n’avait jamais autorisée à être exécutée hors de ses murs. Au lieu de réprimander Wolfgang, le pape le fit chevalier. Après quoi, à certaines reprises, il signait « Chevalier Mozart ».

         Sa mémoire phénoménale démontrée lors de cet exploit allait devenir son plus puissant outil. Il était capable, dans son esprit, de composer entièrement une œuvre - souvent durant un voyage ou en jouant au billard - et de se souvenir de chaque détail. De cette façon, sa musique avait la liberté et la spontanéité d’une improvisation mentale. La partition était copiée dès qu’il s’y mettait ce qui était souvent à la dernière minute. (Si les choses devenaient complexes, il devait élaborer une esquisse et réviser comme tout le monde). Un exemple de cette maturité est l’ouverture de Don Govanni, qu’il avait cogitée dans son esprit et dont les parties ne furent écrites que deux jours avant la première. Il passa toute la nuit à griffonner pendant que sa femme lui fournissait « punch » et délicatesses et lui contait des histoires pour le tenir éveillé, chaque page était transmise aux copistes dès qu’elles étaient terminées. Le résultat extraordinaire fut joué à vue lors de la représentation. Mozart admettra que « quelques notes ont tombé sous la table ».

         L’aspect le plus productif de ses voyages de jeunesse était que partout Wolfgang s’imprégnait des idées et des influences que son père lui faisait découvrir; dans le processus, il créa un style qui synthétisait les particularités musicales de plusieurs pays. Durant un séjour à Londres, en 1764, il fréquenta Johann Christian Bach, le fils de Johann Sebastian, dont la musique galante et italianiste incarnait le début du style classique. La musique de Johann Christian influença Wolfgang comme pour tout autre, jusqu’à ce qu’un modèle plus important arrive, Haydn.

         Chaque voyage de jeunesse se terminait inévitablement à Salzbourg, ville qui commençait à le frustrer. Là, Leopold continuait ses fonctions en tant que directeur musical du prince-archevêque. En 1771, le vieil archevêque, qui était toujours ouvert à l’idée de voyages pour ses employés de renom, mourut. Son remplaçant, un certain Hieronymus von Colloredo, était plus conservateur quant à la place et aux devoirs de ses serviteurs. Il débuta de façon agréable en augmentant le salaire de Wolfgang en tant que maître de concert de la cour. Mais il y eut friction avec le génie de quinze ans lorsque celui-ci fut appelé à l’extérieur de la ville pour écrire des opéras à Munich et à Milan.

         En 1777, Wolfgang se cherchait un poste peu importe où pourvu qu’il puisse quitter Salzbourg. Il remplissait des postes mineurs écrivant surtout de la musique religieuse ce qui ne l’intéressait pas vraiment. Cette année-là, il partit en voyage avec le but de se trouver un autre emploi. Il partit avec sa mère malade et aboutit à Paris. Wolfgang devait faire face au premier défi majeur de sa vie : la croissance.

          C’est une chose que d’être un enfant de dix ans jouant brillamment et composant des symphonies mais ça en est une autre pour un jeune homme de dix-huit ans. À Paris, Wolfgang devint, pour la première fois, un pigiste professionnel qui est en compétition avec les autres professionnels afin d’obtenir les quelques engagements disponibles. Il a fait le tour des salons et obtint quelques commissions mais, essentiellement, rien n’arriva. Sa mère mourut en juillet 1778, et tôt en 1779, déprimé et abattu, il retourna à la maison. Toutefois, sur le chemin du retour, il arrêta à Mannheim où quelque chose d’important survint.

         À Mannheim, il demeura chez la famille Weber dont il avait rencontré les membres lors de son voyage vers Paris. La famille incluait quatre filles dont deux d’entre elles étaient d’excellentes chanteuses. L’inévitable survint : Wolfgang courtisa Aloysia Weber, la plus belle et la plus talentueuse des quatre. Il écrivit quelques uns de ses plus beaux airs de concert pour elle et pour sa sœur Josefa. (Des années plus tard, Josefa créa le rôle de la Reine de la Nuit dans la Flûte enchantée.) Malgré la passion de Wolfgang pour Aloysia Weber, le voyage de retour se termina par une autre déception; elle était intéressée par sa musique et non par son amour. Pendant ce temps, Leopold, apprenant les intentions de son fils, le rappela furieusement à la maison. Mozart père considérait que les Weber leur étaient inférieurs; de plus, il ne voulait pas que son fils se choisisse seul une femme. Comme il retournait furtivement à Salzbourg, Mozart ne se doutait pas qu’il n’avait pas fini avec les Weber, ni eux avec lui.

         De retour à la maison, il occupa le poste ennuyeux d’organiste à la cour et à la cathédrale. Pendant ce temps, il était un maître d’un galant style de vie, non celui du profond et immortel Mozart, mais seulement le lucide et satisfait, avec une liste toujours grandissante de symphonies, d’opéras, de musique de chambre, et de musique chorale dans son portfolio.

         En 1780, l’électeur de Munich, où Mozart avait obtenu d’importants succès, le rappela pour écrire un opéra. Le résultat fut Idomeneo, sa première œuvre mature de scène, et à la fin, le meilleur de ses opéras de série. Il le composa en grande partie durant les répétitions, personnalisant sa musique aux chanteurs; observant les effets de scène, ajustant le timbre de l’action en coupant ici et en ajoutant là. En agissant ainsi, il apprenait les leçons pratiques sur la mise en scène qui lui seront utiles lors de la production future de comédies.

         Après son triomphe à Munich, Mozart affronta l’événement décisif de sa vie - une libération fiasco. L’archevêque Hieronymus décida de ramener son employé voyageur, de lui ordonner de se ranger et d’obéir aux ordres. Au début de 1781, il convoqua impérialement Mozart de Salzbourg à Vienne où l’archevêque était en visite. Lorsque le compositeur se présenta devant lui, l’archevêque lui déversa un torrent d’abus en tant que serviteur qui le servait mal. Lorsque Mozart tenta de se défendre, il fut physiquement mis à porte.

         De toute façon c’est la façon que Wolfgang décrivit la scène à son père dans une lettre. Dans la même lettre, il jura qu’il quitterait Salzbourg et qu’il irait faire fortune là où sont les grandes fortunes musicales en Europe et dans le monde : à Vienne.

         Il était maintenant âgé de vingt-cinq ans et un compositeur pigiste à une époque où cela représentait une façon risquée de gagner sa vie. Quoique brillant comme virtuose et compositeur, il habitait maintenant une ville où maraudent toute sorte d’espèces qui sont toutes ambitieuses et qui ont faim. Il fut un temps où l’église était le principal consommateur d’art; maintenant, c’est l’aristocratie qui paie le loyer pour la plupart des artistes. Mozart espérait se joindre à une cour ou à une autre, ce qui était la voie habituelle du succès.

         En premier, il vécut, à Vienne, avec les Weber qui avaient déménagé de Mannheim. Maintenant que Aloysia l’avait rejeté, la mère, devenue veuve, commença à présenter Constanze à Wolfgang. Elle était sa plus jeune, moins jolie, et moins talentueuse quoiqu’elle chantait bien. Il se laissa persuader et écrivit à Leopold pour obtenir son assentiment à cette union. Wolfgang et Constanze se sont mariés en août 1782 avant que la permission exaspérée et rancunière de Leopold ne fut reçue. À cause de la rupture avec l’archevêque et ce mariage impulsif, les relations entre le père et le fils se sont refroidies et vont le demeurer ainsi.

         Constanze, alors âgée de vingt ans, n’était pas la partenaire intellectuelle ni l’âme sœur mais il semble que ce n’était pas ce que le mari recherchait. Mozart voulait une compagne de jeu enthousiaste et une partenaire sexuelle et c’était ce que la pétillante et coquette Constanze semblait être. Quant au mari, il était un homme-enfant qui pouvait tantôt improviser sublimement dans un élégant salon tantôt enjamber les meubles et miauler comme un chat.

         Qu’il soit en public ou en privé, il ne pouvait tenir en place, tambourinant ses doigts partout, bougeant nerveusement même lorsqu’il se lavait les mains. Contanze prit sur elle de couper sa viande pour lui de peur qu’il ne se coupe les doigts. Il adorait la musique et tout ce qui l’entourait; d’autre part, il aimait la danse, le billard, la nourriture, le vin, les réceptions, le sexe, et le plaisir en général, le tout avec une jouissance animale insatiable. Jusque vers les dernières années de sa vie, il était indifférent à la littérature, la philosophie, la politique - à moins qu’il y ait quelque chose en ces matières qu’il puisse utiliser et alors il s’en accaparait de façon tenace. Pas plus que personne d’autre, il ne pouvait expliquer les choses magiques qui se passaient dans sa tête. Avec Constanze, il n’avait pas besoin de lien spirituel mais ses lettres démontrent qu’il était profondément amoureux d’elle.

         Juste avant son mariage Mozart causa toute une sensation à Vienne avec sa comédie irrésistible, L’enlèvement au Sérail. Cette histoire de deux nobles dames vendues par des pirates à un pacha turc était conçue pour tirer avantage d’un envoûtement courant à Vienne pour tout ce qui était turc - café, confiseries, cigarettes, musique pseudo-turque avec ses cymbales et des tambours. Pour en assurer la réussite, l’opéra prenait la forme d’un singspiel allemand, un genre populaire d’œuvre de scène similaire à la comédie musicale américaine : des chants liés à des dialogues. Les viennois ont acheté cette concoction d’intelligence mozartienne et de niaiseries exotiques.

         Entre L’enlèvement et ses prestations brillantes au piano, Mozart était, pour un temps, la vedette de la ville. Lui et Constanze ont aménagé dans un appartement luxueux et richement meublé, incluant une magnifique table de billard. Il donna libre cours à ses goûts pour les vêtements de fantaisie et effectuait une visite journalière à son coiffeur.

          Évidemment, ils n’étaient pas réellement riches et ne le seront jamais même s’il obtenait les meilleurs cachets alors payés aux artistes. Il pouvait obtenir l’équivalent de 6 000$ pour une soirée de concert soit autant que certains officiers de la cour recevaient pour une année entière. Il avait les revenus imprévisibles d’un pigiste, vulnérables aux lois économiques, aux goûts du public viennois, et au sabotage de ses ennemis. Le succès de L'enlèvement a été obtenu, par exemple, malgré les machinations menées par Antonio Saleri, chef de l’Opéra de Vienne et un compositeur favori de l’empereur Joseph II. Salieri fit de son mieux pour ridiculiser et abattre son rival et ce, incluant la présence dans la salle de personnes pour chahuter durant la représentation. Dans ce cas, le stratagème n’a pas fonctionné mais Salieri serait un rival formidable. Il entrera dans l’histoire non en tant que compositeur mais en temps que némésis de Mozart.

         Pour le reste de sa vie à Vienne, Mozart travaillera à pleine vapeur alors en possession de sa pleine maturité. Ses créations s’échelonneront sereinement malgré tous les désordres de sa vie, les périodes de prospérité et de sécheresse ainsi que les aléas de sa santé.

         Plus que toute autre chose, il voulait écrire un opéra, mais après L’enlèvement, il examina des douzaines de librettos incapable de trouver un sujet qui le satisfasse jusqu’au jour où il tombe sur la pièce célèbre de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro.

         Par les temps qui courent, Mozart est tel un meuble à la cour de Joseph II, empereur du Saint Empire Romain. En tant que « despote éclairé » et patron des arts, Joseph a imposé de nombreuses réformes incluant l’abolition du servage, la limitation des pouvoirs de la noblesse, et la rationalisation des pratiques funéraires. Les réformes de Joseph étaient si dictatoriales qu’à la fin il a réussi à s’aliéner presque tout le monde. Malgré tout, Joseph maintint une brillante cour. Parmi les prétendants à la cour il y avait le poète, librettiste et aventurier Lorenzo Da Ponte : moitié obscur journaliste, moitié génie, hautement instruit mais aussi un addict aux femmes et à la grande vie. Mozart approcha Da Ponte avec l’idée de Figaro. Da Ponte le connaît très bien et sait que ça peut être trouble - Joseph a banni la pièce. Mais Da Ponte promet d’arranger les choses avec l’empereur.

         Originalement une comédie, la pièce est un réquisitoire féroce sur la noblesse où le barbier Figaro et sa fiancée, Susanna, combattent les intentions du galant Comte Almaviva - principalement son droit féodal de coucher avec les nouvelles épouses. En apprenant les plans de Mozart, ses rivaux ont senti sa perte; mais Da Ponte a promis à l’empereur que le tout serait aseptisé pour y retirer les parties inadmissibles, et Joseph a accepté de lever son interdiction.

         Ainsi commença la collaboration entre Mozart et Da Ponte qui produira trois opéras immortels. Peut-être le plus parfaitement réalisé de tous, Figaro fut écrit en six semaines au début de 1786. Les ennemis, en cour de loi (non limités à Salieri), ont tenté de faire avorter la production mais peine perdue, les chanteurs et les musiciens furent emballés par la musique. À la première, le temps de la représentation a été presque doublé parce que l’audience demandait la reprise de plusieurs numéros. L’empereur Joseph a exprimé son enthousiasme. Mais la publication d’un petit opéra Una Cosa Rara par l’espagnol Martin y Soler portant sur le même sujet força Figaro à être retiré après seulement neuf représentations et, pour plusieurs années, sera rarement entendu. Une production à Prague peu de temps après, toutefois, remporta un succès retentissant. À ce sujet Mozart écrivit à son père : « Ici, on ne parle que de Figaro. Rien n’est joué, chanté, ou sifflé que Figaro! Aucun opéra n’attire autant de gens que Figaro. Rien, rien, seulement Figaro. Certainement un grand honneur pour moi! »

         Inévitablement, ce triomphe est temporaire. En ce temps-là, les royautés sur les œuvres n’existaient pas. Quelqu’un payait pour écrire l’œuvre et c’était fini; la pièce pouvait être chantée partout et le compositeur ne recevait absolument rien. La seule façon de survivre pour un pigiste est d’écrire et de produire constamment, connaître constamment des succès, et espérer que l’économie reste forte. Autour de 1786, l’activité créatrice de Mozart a fleuri comme jamais. En six mois, de la fin de 1785 au printemps de 1786, alors qu’il finissait Figaro, il a aussi complété trois concertos pour piano, plusieurs pièces pour les services maçonniques, une sonate pour violon et plusieurs petites œuvres. Pendant ce temps, l’empereur Joseph est entré en guerre avec la Turquie ce qui a eu comme conséquence de saper les ressources de l’état et, inévitablement, de heurter les arts. Pour rendre les choses encore pires, Constanze développait une maladie chronique et devait passer beaucoup de temps dans des spas dispendieux. Pour sa part, Mozart a toujours regardé l’argent comme étant quelque chose que l’on dépense plutôt que d’être mis de côté pour le futur.

         Pour toutes ces possibles raisons, entre 1788 et 1790 Mozart s’appauvrit et commença à quémander des prêts auprès de ses amis et principalement auprès de son frère maçonnique Michael Puchberg. Il écrivit maintes lettres et l’ensemble de celles-ci ont aidé à créer le mythe que Mozart était négligé et pauvre. Les circonstances de sa vie à ce moment, si difficiles aient-elles été, ne semblent pas être aussi misérables qu’il les dépeignait; on est souvent porté à exagérer lorsque l’on quémande. Dans tous les cas, en moins de deux ans, les finances de Mozart seront de nouveau stables. Les historiens ont rarement rapporté qu’au moment de sa mort, Mozart avait commencé à repayer Puchberg et que Constanze a pris soin des dettes qui restaient.

         Parmi les récompenses des années passées à Vienne, il y a l’amitié que Mozart a développée avec Haydn. La réputation mondiale du vieux maître le dispensait d’avoir à compétitionner avec quiconque; puis à part, il était généreux par nature. Malgré tous ses jugements sévères envers ses contemporains, Mozart reconnaissait sa dette envers Haydn.

         Le respect et la générosité de Haydn furent récompensés par la dédicace de six quatuors pour cordes que Mozart écrivit de 1782 à 1785. Remarquables dans le traitement équilibré des instruments et de leur richesse contrapuntique, ces quatuors Haydn sont peut-être les œuvres sur lesquelles Mozart a le plus travaillé; les manuscrits montrent plusieurs révisions et ré-écritures. Trois d’entre eux furent donnés en première à Vienne, début 1785, alors que Mozart et Haydn étaient parmi les exécutants et que le père de Mozart était présent. À la fin, un Haydn tout touché dit à Leopold : « Devant Dieu et en tant qu’honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse soit personnellement ou de réputation. »

         Prague répondit à la Figaromanie en exigeant que Mozart et Da Ponte produisent un autre opéra en 1787. À la recherche d’un sujet sensationnel, ils ont arrêté leur choix sur la légende de Don Juan, éventuellement en la complétant à partir d’avis techniques provenant d’un ami de Da Ponte, l’aventurier Casanova (à qui l’on doit une scène ou deux). Da Ponte a écrit le libretto niché dans une chambre de la maison d’un mécène; dans la pièce adjacente, une table constamment remplie de nourriture et de vin; et une troisième pièce où se tenait une jeune dame qui répondait promptement à chaque appel de cloche. Sur ce dernier élément d’inspiration, Da Ponte écrivit : « J’aurais voulu l’aimer comme une sœur, mais… » Ainsi fut produit l’un des plus puissants opéras, l’étrange mélange de comédie, de tragédie, et de résonances mythiques, Don Giovanni.

         Malgré son refus de répondre à tout moule, cette œuvre connût un autre retentissant succès à Prague - et un autre raté à Vienne. La réponse de l’empereur Joseph donne le ton : « L’opéra est divin, voire peut-être supérieur à Figaro. Mais rien à mettre sous les dents des viennois. » Certains ont trouvé la musique trop compliquée, faisant écho à la fameuse (apocryphe) histoire de Joseph disant : « Trop de notes, Mozart », et le compositeur de répondre : « Juste assez pour répondre aux besoins, Votre Majesté. » Le plus souvent, la musique était louangée alors que l’histoire était condamnée comme immorale ou folle. Certainement, la majeure partie du manque de succès à Vienne vient du fait que l’opéra mélange les genres comiques et tragiques : les viennois, habitués aux conventions, aimaient que les choses soient l’un ou l’autre. Au moment de la mort de Mozart, Don Giovanni était un succès partout en Allemagne, en Autriche, et à Prague, son œuvre de scène la plus populaire (quoique les autres étaient aussi souvent jouées).

         Toujours, au cours de ces années, les problèmes d’argent poursuivaient Mozart comme des démons. Quand il empochait une bonne commission, elle semblait s’évaporer aussitôt. En 1789, il fut présenté, à Berlin, au roi William II de Prusse qui le paya généreusement pour une série d’œuvres mais il revint à Vienne sans argent ni explication. Constanze était plus ou moins toujours enceinte - seuls deux de leurs six enfants survivront - et elle visitait ses spas. Pour rendre les choses encore pires, Leopold meurt en mai 1787 laissant les relations père-fils non résolues et beaucoup de choses non dites et non faites.

         Vers la fin des années 1780, Mozart commence, de façon sporadique, à être sérieusement malade. Peut-être la maladie des reins qui commence à le tuer : c’est très difficile de l’affirmer compte tenu de la science médicale d’alors. Sa santé physique ainsi que celle de Constanze décline répandant le désespoir dans toutes les facettes de sa vie.

         Malgré tout, ses esprits d’enfant n’ont jamais été freinés ni sa source intarissable d’inspiration. Dans l’espace incroyable de six semaines de 1788, alors que tout allait mal, il écrivit ses trois dernières symphonies, no. 39-41. Dans ces œuvres, il a poussé la forme symphonique classique au paroxisme de la perfection, montrant la voie vers un rayonnement et une intensité que Beethoven va apporter à la musique symphonique.

         Certaines découvertes effectuées au cours de la dernière décennie vont aussi le transformer. Avec son ami le baron Van Swieten, un libraire à la cour et musicien amateur, Mozart commença, après 1782, l’étude du Clavier bien tempéré et l’Art de la fugue de Johann Sebastian Bach. Cette étude produira une revitalisation de son contrepoint qui ajouta une profondeur musicale et spirituelle dans ses dernières grandes œuvres.

         Un autre développement est encore plus surprenant. Quoique catholique d’origine, Mozart joint une loge maçonnique en 1784. En ce temps, l’église catholique - et l’Autriche catholique - considérait la maçonnerie comme une conspiration diabolique contre l’autorité divine. (Parmi ses conseillers, Joseph comptait des franc-maçons. Ce furent son prédécesseur et son successeur qui obligeront les franc-maçons à devenir une société secrète.) Malgré son indifférence, dans le passé, pour la politique, l’idéologie démocratique des franc-maçons toucha une corde sensible chez Mozart. Il faut dire qu’à l’époque, cette société comptait parmi ses membres des personnages de la trempe des Voltaire, Goethe, et Benjamin Franklin. La musique qu’il écrivit pour les cérémonies maçonniques avaient une grandeur solennelle, laquelle était nouvelle dans ses œuvres. Parmi les principes de la franc-maçonnerie, il supportait les idéaux qui, plus tard, inspireront Beethoven : la liberté et la fraternité de l’humanité. Ces deux dernières découvertes, Bach et la franc-maçonnerie, joueront un rôle important dans la création de sa dernière œuvre pour la scène, La Flûte enchantée.

         Avant la création de cette œuvre, il y eut, début 1790, la première de sa dernière collaboration avec Da Ponte, l’opéra Cosi fan tutte (en traduction libre « Toutes le font »). Cette histoire de trahison suit, de façon générale, les conventions en vigueur pour l’époque concernant les comédies à caractère sexuel : deux hommes sans cœur soumettent leurs amantes à un test de fidélité, et où les femmes échouent lamentablement le test. Toutefois, à la fin, alors que les quatre vies sont un gâchis indécent, nous devons nous demander qu’est-ce qu’il y avait de si comique. Mozart a probablement subverti la popularité de cet opéra avec sa musique, rendant les dilemmes trop pointus, et les souffrances supposées comiques trop réelles. En somme, Cosi est demeuré la moins populaire de leurs trois grandes collaborations.

         Mozart ne fit pas la même erreur avec sa nouvelle œuvre : La Flûte enchantée qui est d’un style réellement populaire et dont l’histoire a connu un énorme succès. Il a réussi à faire de cette petite blague absurde le plus approfondi de ses opéras.

         L’impulsion pour La Flûte enchantée est vue d’un personnage coloré et quelque peu sordide qu’était Emmanuel Schikaneder, un acteur, un impresario et un franc-maçon. Schikaneder avait joué Shakespeare et les autres classiques mais ne possédait pas plus d’ambition artistique que celle de donner au public ce qu’il voulait. Il avait établi un théâtre où il produisait et jouait dans des comédies convenant au goût populaire, avec une emphase sur les sujets exotiques et les effets scéniques frappants. Mozart et Schikaneder étaient devenus des compagnons de beuveries; pour maintenir ses esprits Mozart avait maintenant recours au vin et aux chansons, et peut-être aux femmes aussi. L’acteur était une fertile source de tous ces ingrédients.

         En mars 1791, Schikaneder propose un projet : un singspiel basé sur l’histoire féerique appelée Lulu, ou La Flûte enchantée. Mozart aquiessa sans hésitation; il avait besoin d’argent et ne pouvait pas se permettre d’être trop difficile. Alors Schikaneder commença le libretto, écrivant pour lui-même un rôle bouffon en tant que Papageno, un chasseur d’oiseaux vêtu de plumes. Alors rendu au tiers, on s’aperçut que quelqu’un d’autre en ville avait monté une production réussie utilisant la même histoire. Pas de problème : apparemment Schikadener modifia tout à partir du milieu. L’héroïne originale était la Reine de la Nuit dont la fille Pamina est enlevée par le démon Sarastro, chef d’une fraternité mystérieuse; après révision, Sarastro se révèle comme une figure noble ayant enlevé Pamina pour son bien, et la Reine devient une sorcière traîtresse. En cours de révision, le libretto a ramassé deux sous-courants, l’un infortuné l’autre fructueux.

         L’élément infortuné est la forte dose d’anti-féminisme : le principal péché de la Reine, semble-t-il, est de mettre en doute l’autorité des hommes. Mozart accorda probablement peu d’attention à cette tentative mesquine à la motivation dramatique. Ce qui le poussa aussi était que Schikaneder avait réussi à dépeindre la pièce en une allégorie faiblement déguisée de la franc-maçonnerie. La fraternité de Sarastro est similaire à une loge maçonnique incluant les cérémonials pseudo-égyptiens.

         Dans l’exploit le plus éblouissant de sa carrière, Mozart a tourné un libretto qui n’était qu’un assemblage de boniments, de platitudes, et de misogynie en un sublime conte de fée pour les adultes. Il transporte sans efforts du sans-art et du populaire à la recherche et à l’érudit. Dans les airs de Sarastro et les chœurs de la fraternité, on y retrouve le ton solennel de la musique maçonnique. (George Bernard Shaw a dit que les airs de Sarastro étaient la seule vraie musique écrite qui soit acceptable pour la voix de Dieu.) Alors que les chœurs chantent la renaissance de la sagesse, on entend les premiers accords majestueux de la nouvelle ère pour l’humanité, l’aurore du siècle des lumières et de la démocratie. Même si en réalité le nouvel aurore ne se soit pas prouvé aussi transcendent comme il semblait dans l’anticipation. La musique de Mozart a capté, pour toujours, la grandeur d’âme de ce rêve.

         À la mi-1791, Mozart apparemment ressent qu’il va mourir. Ceci n’a aucun effet sur son travail et même sur ses voyages. Il compose, en vitesse, un opéra de série intitulé La Clémence de Tito pour un couronnement royal à Prague où il se rend pour en diriger la première. Loin d’être sa meilleure, son œuvre n’obtient aucun succès. Les lettres qu’il a écrites durant cette période révèlent qu’il brouille du noir, un trait qui ne lui est pas familier : « Si le peuple pouvait voir à l’intérieur de mon cœur, » écrit-il à Constanze, « j’aurais à être gêné - je trouve que tout est froid - extrêmement froid. » Un jour après, il écrira avec son vieil enthousiasme d’avoir mangé un délicieux repas.

         L’horreur final arriva à sa porte en juillet 1791 dans la personne d’un étranger vêtu de gris qui refuse de s’identifier mais qui lui commande de lui écrire un Requiem, une messe pour les morts. Acceptant la commande et se mettant au travail, il commence à imaginer que cet étranger est la mort elle-même et que le Requiem sera le sien. Dans une lettre il confit : « Je ne peux pas effacer de mes yeux l’image de cet étranger. Je le vois continuellement. Il me supplie, m’exhorte, et me commande de continuer mon travail… Je suis sur le point de la mort; j’ai fini avant que je ne puisse jouir de mon talent… Je dois donc terminer mon chant funèbre lequel je dois absolument compléter. » (On doit mentionner qu’il est possible que cette lettre soit une contrefaçon datant du 19e siècle.)

         À la fin, il laissera un magnifique fragment de ce Requiem. Existe-t-il une musique aussi menaçante que le chœur d’ouverture? C’est du Mozart très en contrôle, magistral dans la tonalité et sensible à chaque nuance du texte mais c’est aussi le travail d’un homme envisageant sa propre tombe. Il est l’expression de la profondeur de l’angoisse personnelle qui ne sera pas entendue en musique avant les œuvres de maturité de Beethoven. Toute l’œuvre est illuminée par la lueur du contrepoint à la Bach; et elle résonne avec espérance et réjouissance au même point que la tragédie et la mort.

         Il existe une explication simple au mystère de la commande du Requiem. Le messager secret venait de la part du Comte Franz von Walsegg, un musicien amateur qui planifiait, selon ses habitudes, de faire passer le Requiem comme étant une de ses propres œuvres. Après la mort de Mozart, le Comte a confessé son stratagème.

         Deux semaines avant qu’il ne meure, Mozart a dirigé une cantate maçonnique nouvellement écrite pour souligner l’ouverture du temple. Ce fut la dernière œuvre qu’il aura complétée. Deux jours après, il dut s’aliter mais toujours en travaillant sur son Requiem. Il reçut l’information que La Flûte enchantée, qui avait connu des débuts plutôt lents, était en voie de devenir un succès. Au lit, Mozart commença à chronométrer les représentations avec sa montre, disant « Maintenant c’est l’heure de l’air de la Reine de la Nuit… Voici qu’entre Sarastro. »

         Dans la nuit du 4 décembre, il se démenait pour chanter les partitions du Requiem avec quelques amis réunis autour de son lit. Constanze, revenue récemment d’un autre spa, était là avec Franz Sussmayr, un élève de Mozart, lorsqu’il promit au mourant qu’il terminerait le Requiem. (Sussmayr a fait ce qu’il a promis, et de belle façon.) Un médecin vint et appliqua des cataplasmes froids sur la tête fiévreuse de Mozart; ceci précipita un coma. Lorsqu’on vint le vérifier après minuit, le 5 décembre 1791, il était mort.

         Les funérailles engendrent plusieurs mythes. Contrairement à la légende, plusieurs personnes assistèrent à ses funérailles. Les cérémonies et l’enterrement se sont déroulés selon les décrets stricts de l’empereur Joseph, lesquels voulaient éliminer les cérémonies extravagantes et mettre fin aux pratiques non sanitaires d’enterrement à l’intérieur des murs de la ville. Donc, comme pour toute autre cérémonie de funérailles du temps, celle-ci a eu lieu dans la ville, à la cathédrale de St. Étienne, et plus tard, en soirée, le corps a été transporté hors des murs pour l’enterrement dans une fosse commune le lendemain matin. Ce délai, partiellement requis afin de s’assurer que le corps était réellement mort, produisait que peu de personnes endeuillées accompagnaient le corps jusqu’à la fosse, laquelle était toujours anonyme. En effet, les corps devaient être déposés à l’intérieur d’un sac de toile et recouverts de chaux; ceci a dû se produire pour le corps de Mozart. Les ordonnances concernant les enterrements étaient détestées par tous et n’ont pas survécues à l’empereur Joseph. Très tôt elles furent oubliées et c’est ainsi que le mythe voulant que Mozart ait reçu un enterrement de pauvre s’est développé au cours de la période romantique.

         Mozart n’est pas mort en homme pauvre et oublié. Un service commémoratif eut lieu à Prague le 14 décembre attirant plusieurs milliers de personnes venues entendre une messe de Requiem jouée par les meilleurs musiciens de la ville. Selon le compte-rendu des journaux, « de nombreux pleurs ont coulé en souvenir triste d’un artiste dont les harmonies ont apportées la joie à nos cœurs ».

         Il y eut aussi un service commémoratif à Vienne, et Antonio Salieri en dirigeait la musique. Pour plusieurs années, une rumeur voulait qu’il ait empoisonné Mozart. Quoique Salieri ait possiblement fait obstruction à la carrière de Mozart ici et là, cette rumeur est sans fondement et elle n’a eu aucun effet sur la réputation de Salieri. En effet, un peu avant la mort de Mozart, Salieri a assisté à une représentation de La Flûte enchantée assis au côté du compositeur et il a applaudi chaque numéro. Salieri devint un pédagogue vénéré qui a enseigné entre autres à Beethoven, Schubert, et Liszt ainsi qu’au fils de Mozart, Karl qui devint un compositeur mineur mais respecté. Le librettiste Lorenzo Da Ponte vint en États-Unis où il a enseigné l’italien à l’université Columbia et dirigea une épicerie, avec une petite opération de contrebande d’alcool en arrière plan. Quant à Constanze, elle devint la veuve professionnelle du compositeur. Elle épousa un diplomate danois dont la pierre tombale se lit comme suit : « Ici repose le second époux de la veuve de Mozart ».

         La cause de la mort de Mozart a été établie, sur le fait, à une « fièvre militaire », un diagnostic vague. Les recherches suggèrent que la cause serait la « fièvre rhumatismale » laquelle aurait été empirée par l’action de ses docteurs qui ont prescrit une saignée, une procédure commune et souvent fatale. En d’autres termes, ni la pauvreté ni l’abandon ni le poison ne sont responsables de la mort de Mozart mais plutôt un décret aléatoire des mêmes dieux qui l’avaient si merveilleusement façonné.


Source : infopuq.uquebec.ca/.../uss1010/catal/mozart/mozwabio.html
Wolfgang Amadeus MOZART
1756 - 1791

Wolfgang Amadeus Mozart Portrait posthume par Barbara Krafft, 1819