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compositeurs > Beethoven Ludwig Van 1770 - 1827)

         Ludwig van Beethoven (Bonn, 16 ou 17 décembre 1770 — Vienne, 26 mars 1827) était un compositeur allemand dont l'œuvre s'étend chronologiquement de la période classique aux débuts du romantisme.

          Dernier grand représentant du classicisme viennois (après Gluck, Haydn et Mozart), Beethoven prépara l'évolution vers le romantisme en musique et influença la musique occidentale pendant une grande partie du XIXe siècle. Inclassable (« Vous me faites l'impression d'un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes » lui dit Haydn vers 1793), son art s'exprima dans tous les genres, et bien que sa musique symphonique soit la principale source de sa popularité universelle, c'est dans l'écriture pianistique et dans la musique de chambre que son impact fut le plus considérable.

          Surmontant à force de volonté les épreuves d'une vie marquée par le drame de la surdité, célébrant dans sa musique le triomphe de l'Héroïsme et de la Joie quand le destin lui prescrivait l'isolement et la misère, il a mérité cette affirmation de Romain Rolland : « Il est bien davantage que le premier des musiciens. Il est la force la plus héroïque de l'art moderne ». Expression d'une inaltérable foi en l'homme et d'un optimisme volontaire, consacrant l'art musical comme action d'un homme libre et non plus comme simple distraction, l'œuvre de Beethoven a fait de lui une des figures les plus marquantes de l'histoire de la musique.

         Il a vécu dans une famille modeste qui perpétuait une tradition musicale depuis au moins deux générations. Son grand-père paternel, Ludwig van Beethoven l'ancien (1712 - 1773), descendait d'une famille flamande roturière originaire de Malines (la particule « van » n'a donc pas de valeur nobiliaire). Homme respecté et bon musicien, il s'était installé à Bonn en 1732 et était devenu maître de chapelle du Prince-Électeur de Cologne. Son père, Johann van Beethoven (1740 - 1792), était musicien et ténor à la Cour de l'Électeur. Homme médiocre et brutal, alcoolique notoire, il éleva ses enfants dans la plus grande rigueur. Sa mère, Maria-Magdalena van Beethoven née à Keverich (1746 - 1787), était la fille d'un cuisinier de l'Électeur de Trèves. Dépeinte comme douce mais dépressive, elle fut aimée de ses enfants mais effacée. Ludwig était le cadet de sept enfants dont trois seulement atteignirent l'âge adulte : lui-même, Kaspar-Karl (1774 - 1815) et Johann (1776 - 1848).

         Il ne fallut pas longtemps à Johann van Beethoven pour détecter le don musical de son fils et réaliser le parti exceptionnel qu'il pourrait en tirer. Songeant à l'enfant Mozart, exhibé en concert à travers toute l'Europe une quinzaine d'années plus tôt, il entreprit dès 1775 l'éducation musicale de Ludwig et, devant ses exceptionnelles dispositions, tenta en 1778 de le présenter au piano à travers la Rhénanie, de Bonn à Cologne, en le faisant passer pour deux ans plus jeune qu'il ne l'était. Mais là où Léopold Mozart avait su faire preuve d'une subtile pédagogie auprès de son fils, Johann van Beethoven ne semble avoir été capable que d'autorité et de brutalité; et cette expérience demeura infructueuse et sans suite, à l'exception d'une tournée aux Pays-Bas en 1781. Parallèlement à une éducation générale qu'il dut pour beaucoup à l'accueil et à la bienveillance de la famille von Breuning et à son amitié avec le médecin Franz-Gerhard Wegeler, auxquels il fut attaché toute sa vie, le jeune Ludwig devint l'élève de Christian Gottlob Neefe (piano, orgue, composition) et composa pour le piano, entre 1782 et 1783, les Neuf variations sur une marche de Dressler et les trois Sonatines dites à l'Électeur qui marquèrent symboliquement le début de sa production musicale.

         Devenu organiste adjoint à la Cour du nouvel Électeur Max-Franz qui devint son protecteur (1784), Beethoven fut remarqué par le comte Ferdinand von Waldstein, qui joua un rôle déterminant dans l'avenir du jeune musicien. Il emmena Beethoven une première fois à Vienne en avril 1787, séjour au cours duquel aurait eu lieu une rencontre furtive avec Mozart . Mais surtout, en juillet 1792, il présenta Beethoven à Joseph Haydn qui, revenant d'une tournée en Angleterre, s'était arrêté à Bonn. Impressionné par la lecture d'une cantate composée par Beethoven (celle sur la mort de Joseph II ou celle sur l'avènement de Léopold II) tout en étant lucide sur les carences de son instruction, Haydn l'invita à faire des études suivies à Vienne sous sa direction. Conscient de l'opportunité que représentaient, à Vienne, l'enseignement d'un musicien du renom de Haydn, et quasiment privé de ses attaches familiales à Bonn (sa mère était décédée de la tuberculose en juillet 1787, et son père, sombrant dans l'alcoolisme, avait été mis à la retraite en 1789 et était incapable d'assurer la subsistance de sa famille), Beethoven accepta. Le 2 novembre 1792 il quitta les rives du Rhin pour ne jamais y revenir, emportant avec lui cette fameuse prophétie de Waldstein :

         «Cher Beethoven, vous allez à Vienne pour réaliser un souhait depuis longtemps exprimé : le génie de Mozart est encore en deuil et pleure la mort de son disciple. En l'inépuisable Haydn il trouve un refuge, mais non une occupation ; par lui, il désire encore s'unir à quelqu'un. Par une application incessante, recevez des mains de Haydn l'esprit de Mozart.» (Waldstein, nov. 1792)

          À la fin du XVIIIe siècle, Vienne était la capitale incontestée de la musique occidentale et représentait la meilleure chance de réussir pour un musicien désireux de faire carrière. Âgé de vingt-deux ans à son arrivée, Beethoven n'avait encore pour ainsi dire rien écrit d'important, si loin qu'il était de sa maturité artistique, ce qui le distinguait fondamentalement de Mozart. En effet, bien que Beethoven soit arrivé à Vienne moins d'un an après la disparition de son illustre prédécesseur, qu'il adulait, le mythe du « passage du flambeau » ne résiste pas longtemps aux faits : c'est comme pianiste virtuose qu'il forgea d'abord sa réputation, bien avant de se faire un nom comme compositeur. Quant à l'enseignement de Haydn, si prestigieux qu'il fût, il s'avéra décevant à bien des égards. L'indiscipline et l'entêtement de son élève irritèrent Haydn, et malgré une estime réciproque plusieurs fois rappelée, le « père de la symphonie » n'eut jamais avec Beethoven les rapports de profonde amitié qu'il avait eus avec Mozart et qui avaient été à l'origine d'une si féconde émulation :

         «Vous avez beaucoup de talent et vous en acquerrez encore plus, énormément plus. Vous avez une abondance inépuisable d'inspiration, vous aurez des pensées que personne n'a encore eues, vous ne sacrifierez jamais votre pensée à une règle tyrannique, mais vous sacrifierez les règles à vos fantaisies ; car vous me faites l'impression d'un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes.» (Haydn, vers 1793).

         Cependant Haydn eut une influence profonde et durable sur l'œuvre de Beethoven, et bien plus tard ce dernier reconnut tout ce qu'il devait à son maître. Après le nouveau départ de Haydn pour Londres (janvier 1794), Beethoven poursuivit des études épisodiques jusqu'au début de 1795 avec divers autres professeurs dont le compositeur Johann Schenk et deux autres témoins prestigieux de l'époque mozartienne : Johann Georg Albrechtsberger et Antonio Salieri. Son apprentissage terminé, Beethoven se fixa définitivement à Vienne. Ses talents de pianiste l'avaient fait connaître et apprécier des personnalités mélomanes de l'aristocratie viennoise, dont les noms restent aujourd'hui encore attachés aux dédicaces de plusieurs de ses chefs-d'œuvre : le baron Nikolaus Zmeskall, le prince Carl Lichnowsky, le comte Andrei Razumovsky, le prince Joseph Franz von Lobkowitz, et plus tard l'archiduc Rodolphe d'Autriche, pour ne citer qu'eux. Après avoir publié ses trois premiers Trios pour piano, violon et violoncelle sous le numéro d'opus 1, puis ses premières Sonates pour piano, Beethoven donna son premier concert public le 29 mars 1795 pour la création de son Deuxième Concerto pour piano (qui fut en fait composé le premier, à l'époque de Bonn).

          En 1796 Beethoven entreprit une tournée de concerts qui le mena de Vienne à Berlin en passant notamment par Dresde, Leipzig, Nuremberg et Prague. Si le public loua sa virtuosité et son inspiration au piano, sa fougue lui valut le scepticisme des critiques les plus conservateurs.

         La lecture des classiques grecs, de Shakespeare et des chefs de file du courant Sturm und Drang qu'étaient Goethe et Schiller influença durablement dans le sens de l'idéalisme le tempérament du musicien, acquis par ailleurs aux idées des Lumières et de la Révolution française qui se répandaient alors en Europe. Beethoven fréquenta assidûment en 1798 l'ambassade de France à Vienne où il rencontra Bernadotte et le violoniste Rodolphe Kreutzer auquel il dédia, en 1803, la célèbre Sonate pour violon n° 9 qui porte son nom. Tandis que son activité créatrice s'intensifiait (composition des Sonates pour piano n° 5 à n° 7, des premières Sonates pour violon et piano), le compositeur participa jusqu'aux environs de 1800 à des joutes musicales dont raffolait la société viennoise et qui le consacrèrent plus grand virtuose de Vienne. Des pianistes réputés comme Muzio Clementi, Johann Baptist Cramer, Josef Gelinek, Johann Hummel et Daniel Steibelt en firent les frais.

         La fin des années 1790 fut aussi l'époque des premiers chefs-d'œuvre, qui s'incarnèrent dans le Premier Concerto pour piano (1798), les six premiers Quatuors à cordes (1798-1800), le Septuor pour cordes et vents (1799-1800) et dans les deux œuvres qui affirmaient le plus clairement le caractère naissant du musicien : la Grande Sonate pathétique (1798-1799) et la Première Symphonie (1800). Bien que l'influence des dernières symphonies de Haydn y soit apparente, cette dernière était déjà empreinte du caractère beethovénien (en particulier dans le scherzo du troisième mouvement) et portait en germe la promesse de réussites plus grandes encore. Le Premier Concerto et la Première symphonie furent joués avec un grand succès le 2 avril 1800, date de la première académie de Beethoven (concert que le musicien consacrait entièrement à ses œuvres). Conforté par les rentes que lui versaient ses protecteurs, Beethoven dont la renommée grandissante commençait à dépasser les frontières de l'Autriche semblait à ce moment de sa vie promis à une carrière de compositeur et d'interprète glorieuse et aisée.

         «Son improvisation était on ne peut plus brillante et étonnante ; dans quelque société qu'il se trouvât, il parvenait à produire une telle impression sur chacun de ses auditeurs qu'il arrivait fréquemment que les yeux se mouillaient de larmes, et que plusieurs éclataient en sanglots. Il y avait dans son expression quelque chose de merveilleux, indépendamment de la beauté et de l'originalité de ses idées et de la manière ingénieuse dont il les rendait.» (Czerny, vers 1840)

          L'année 1802 marqua un premier grand tournant dans la vie du compositeur. Dans le plus grand secret, il commençait depuis 1796 à prendre conscience d'une surdité débutante qui devait irrémédiablement progresser jusqu'à devenir totale avant 1820. Contraint à l'isolement par peur de devoir assumer en public cette terrible vérité, Beethoven gagna dès lors une réputation de misanthrope dont il souffrit en silence jusqu'à la fin de sa vie. Conscient que son infirmité lui interdirait tôt ou tard de se produire comme pianiste et peut-être de composer, il songea un moment au suicide, puis exprima à la fois sa tristesse et sa foi en son art dans une lettre qui nous est restée sous le nom de Testament de Heiligenstadt, qui ne fut jamais envoyée et fut retrouvée seulement après sa mort :

         «O vous, hommes qui pensez que je suis un être haineux, obstiné, misanthrope, ou qui me faites passer pour tel, comme vous êtes injustes ! Vous ignorez la raison secrète de ce qui vous paraît ainsi. (…) Songez que depuis six ans je suis frappé d'un mal terrible, que des médecins incompétents ont aggravé. D'année en année, déçu par l'espoir d'une amélioration, (…) j'ai dû m'isoler de bonne heure, vivre en solitaire, loin du monde. (…) Si jamais vous lisez ceci un jour, alors pensez que vous n'avez pas été justes avec moi, et que le malheureux se console en trouvant quelqu'un qui lui ressemble et qui, malgré tous les obstacles de la Nature, a tout fait cependant pour être admis au rang des artistes et des hommes de valeur.» (Beethoven, 6 oct. 1802).

         Heureusement, sa vitalité créatrice ne s'en ressentit pas. Après la composition de la tendre Sonate pour violon n° 5 dite Le Printemps (Frühlings, 1800) et de la célèbre Sonate pour piano n° 14 dite Clair de Lune (1801), c'est dans cette période de crise morale qu'il composa la joyeuse et méconnue Deuxième Symphonie (1801-1802) et le plus sombre Troisième Concerto pour piano (1800-1802) où s'annonçait nettement, dans la tonalité d'ut mineur, la personnalité caractéristique du compositeur. Ces deux œuvres furent accueillies très favorablement le 5 avril 1803, mais pour Beethoven une page se tournait ; dès lors sa carrière s'infléchit. Privé de la possibilité d'exprimer tout son talent et de gagner sa vie en tant qu'interprète, il allait se consacrer à la composition avec un courage et une force de caractère que rien n'avait laissé prévoir. Au sortir de la crise de 1802 s'annonçait l'héroïsme triomphant de la Troisième Symphonie.

         «Je suis peu satisfait de mes travaux jusqu'à présent. À dater d'aujourd'hui, je veux ouvrir un nouveau chemin.» (Beethoven, 1802)

         La Troisième Symphonie, « Héroïque », marqua une étape capitale dans l'œuvre de Beethoven, non seulement en raison de sa puissance expressive et de sa longueur jusqu'ici inusitée, mais aussi car elle inaugurait une série d'œuvres brillantes, remarquables dans leur durée et dans leur énergie, caractéristiques de la période médiane de Beethoven dite «Héroïque».

         Le compositeur entendait initialement dédier sa Troisième Symphonie au général Napoléon Bonaparte en qui il voyait le sauveur de la Révolution. Mais apprenant la proclamation de l'Empire français (mai 1804), il entra en fureur et ratura férocement la dédicace. Pour finir le chef-d'œuvre reçut le titre de « Grande symphonie Héroïque pour célébrer le souvenir d'un grand homme ». La genèse de la symphonie s'étendit de 1802 à 1804 et la création publique, le 7 avril 1805, déchaîna les passions, tous ou presque la jugeant beaucoup trop longue. Beethoven ne s'en soucia guère, déclara qu'on trouverait cette symphonie très courte quand il en aurait composé une de plus d'une heure, et devait jusqu'à la composition de la Neuvième considérer l' Eroica comme la meilleure de ses symphonies. Dans l'écriture pianistique aussi, le style évoluait. Composée entre 1803 et 1804 et dédiée au comte Waldstein dont elle porte le nom, la Sonate pour piano n° 21 frappa ses exécutants par sa grande virtuosité et par les capacités qu'elle exigeait de la part de l'instrument. D'un moule similaire naquit la sombre et grandiose Sonate pour piano n° 23 dite Appassionata (1805), qui suivit de peu le Triple Concerto pour piano, violon, violoncelle et orchestre (1804). En juillet 1805 le compositeur fit la rencontre de Luigi Cherubini pour qui il ne cachait pas son admiration.

         C'est à l'âge de trente-cinq ans que Beethoven s'attaqua au genre dans lequel Mozart s'était le plus illustré : l'opéra. Il s'était enthousiasmé en 1801 pour le livret Léonore ou l'amour conjugal du Français Jean-Nicolas Bouilly, et l'opéra Fidelio, qui portait primitivement le titre-nom de son héroïne Léonore, fut ébauché dès 1803. Mais l'œuvre donna à son auteur des difficultés imprévues. Mal accueilli au départ (trois représentations seulement en 1805), Beethoven s'estimant victime d'une cabale, Fidelio devait connaître pas moins de trois versions remaniées (1805, 1806 et 1814) et il fallut attendre la dernière pour qu'enfin l'opéra connaisse un accueil à sa mesure. Beethoven avait composé une pièce majeure du répertoire lyrique mais cette expérience avait provoqué son amertume et il ne devait jamais se remettre à ce genre, même s'il étudia plusieurs autres projets dont un MacBeth inspiré de l'œuvre de Shakespeare et surtout un Faust d'après Goethe, à la fin de sa vie.

         Après 1805, malgré l'échec retentissant de Fidelio, la situation de Beethoven était redevenue favorable. En pleine possession de sa vitalité créatrice, il semblait s'accommoder de son audition défaillante et retrouver, pour un temps au moins, une vie sociale satisfaisante. Si l'échec d'une relation intime avec Joséphine von Brunsvik fut une nouvelle désillusion sentimentale pour le musicien, les années 1806 à 1808 furent les plus fertiles en chefs-d'œuvre de toute sa vie : la seule année 1806 vit la composition du Quatrième Concerto pour piano, des trois grands Quatuors à cordes n° 7, n° 8 et n° 9 dédiés au comte Razumovsky, de la Quatrième Symphonie et du célèbre Concerto pour violon. À l'automne de cette année Beethoven accompagna son mécène le prince Carl Lichnowsky dans son château de Silésie et fit à l'occasion de ce séjour la plus éclatante démonstration de sa volonté d'indépendance. Lichnowsky ayant menacé de mettre Beethoven aux arrêts s'il s'obstinait à refuser de jouer du piano pour des officiers français stationnés dans son château (la Silésie était occupée par l'armée napoléonienne depuis Austerlitz), le compositeur quitta son hôte après une violente querelle et lui envoya un billet qui se passe de tout commentaire :

         «Prince, ce que vous êtes, vous l'êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n'y a qu'un Beethoven» (Beethoven, oct. 1806).

         S'il se mettait en difficulté en perdant la rente de son principal mécène, Beethoven était parvenu à s'affirmer comme artiste indépendant et à s'affranchir, temporairement au moins, du mécénat aristocratique. Désormais le style héroïque pouvait atteindre son paroxysme. Donnant suite à son souhait de « saisir le destin à la gorge », exprimé à Wegeler en novembre 1801, Beethoven mit en chantier sa fameuse Cinquième Symphonie. À travers son célèbre motif rythmique de quatre notes exposé dès la première mesure et qui irradie toute l'œuvre, le musicien entendait exprimer la lutte de l'homme avec son destin, et son triomphe final. L'ouverture Coriolan, avec laquelle elle partage la tonalité d'ut mineur, date de cette même époque. Composée en même temps que la Cinquième, la Symphonie pastorale paraît d'autant plus contrastée. Décrite par Michel Lecompte comme « la plus sereine, la plus détendue, la plus mélodique des neuf symphonies » en même temps que la plus atypique, elle est l'hommage à la nature d'un compositeur profondément amoureux de la campagne, dans laquelle il trouvait depuis toujours le calme et la sérénité propices à son inspiration. Véritablement annonciatrice du romantisme en musique, la Pastorale porte en sous-titre cette phrase de Beethoven : « Expression du sentiment plutôt que peinture » et chacun de ses mouvements porte une indication descriptive. La symphonie à programme était née.

         Le concert donné par Beethoven le 22 décembre 1808 fut sans doute une des plus grandes académies de l'histoire (avec celle du 7 mai 1824). Y furent joués en première audition la Cinquième Symphonie, la Symphonie pastorale, le Quatrième Concerto pour piano, la Fantaisie chorale pour piano et orchestre et deux hymnes de la Messe en do majeur qu'il avait composée pour le prince Esterházy en 1807. Après la mort de Haydn en mai 1809, bien qu'il lui restât des adversaires déterminés, il ne se trouvait plus guère de monde pour contester la place de Beethoven dans le panthéon des musiciens.

         En 1808 Beethoven avait reçu de Jérôme Bonaparte, placé par son frère sur le trône de Westphalie, la proposition du poste de maître de chapelle à sa Cour de Kassel. Il semble que le compositeur ait pendant un moment songé à accepter ce poste qui, s'il remettait en cause son indépendance si chèrement défendue, lui assurait au moins une situation sociale décente. C'est alors qu'un sursaut patriotique s'empara de l'aristocratie viennoise (1809). Refusant de laisser partir leur musicien national, l'archiduc Rodolphe, le prince Kinsky et le prince Lobkowitz s'allièrent pour assurer à Beethoven, s'il restait à Vienne, une rente viagère de 4 000 florins annuels, somme considérable pour l'époque. Beethoven accepta, voyant son espoir d'être définitivement à l'abri du besoin aboutir, mais la reprise de la guerre entre la France et l'Autriche au printemps 1809 remit tout en cause. La famille impériale fut contrainte de quitter Vienne occupée, la grave crise économique qui s'empara de l'Autriche après Wagram et le traité de Schönbrunn imposé par Napoléon ruina l'aristocratie et rendit caduc le contrat passé par Beethoven. Jusqu'à sa mort la conjoncture lui resta défavorable à ce point de vue, au point qu'il allait devoir vivre ses dernières années dans une situation proche de la misère. Mais pour l'heure le catalogue s'enrichissait : les années 1809 et 1810 virent la composition d'un nouveau florilège de chefs-d'œuvre, du brillant et virtuose Cinquième Concerto pour piano que créa Karl Czerny à la musique de scène pour la pièce Egmont de Goethe, en passant par le Quatuor à cordes n° 10 dit « les Harpes ». C'est pour le départ imposé de son élève et ami l'archiduc Rodolphe, plus jeune fils de la famille impériale, que Beethoven composa la Sonate « les Adieux ». En 1811 - 1812 Beethoven atteignit sans doute l'apogée de sa vie créatrice. Le Trio à l'Archiduc et les Septième et Huitième symphonies en furent les plus remarquables démonstrations.

         Sur le plan personnel, Beethoven fut profondément affecté en 1810 par l'échec d'un projet de mariage avec Thérèse Malfatti, dédicataire de la célèbre « Lettre à Élise ». La vie sentimentale de Beethoven a suscité d'abondants commentaires de le part de ses biographes. Le compositeur s'éprit à de nombreuses reprises de jolies femmes, le plus souvent mariées, mais jamais il ne connut ce bonheur conjugal qu'il appelait de ses vœux et dont il faisait l'apologie dans Fidelio. Ses amitiés amoureuses avec Giulietta Giucciardi (inspiratrice de la Sonate « Clair de lune »), Thérèse von Brunsvik (dédicataire de la Sonate pour piano n° 24), Maria von Erdödy (qui reçut les deux Sonates pour violoncelle opus 102) ou encore Amalie Sebald restèrent d'éphémères expériences. Outre l'échec de ce projet de mariage, l'autre événement majeur de la vie amoureuse du musicien fut la rédaction, en 1812, de la bouleversante Lettre à l'immortelle Bien-aimée dont la dédicataire reste inconnue, même si les noms de Joséphine von Brunsvik et d'Antonia Brentano sont ceux qui ressortent le plus nettement de l'étude des époux Massin et de Maynard Solomon.

         Le mois de juillet 1812, abondamment commenté par les biographes, marqua un nouveau tournant dans la vie de Beethoven. Séjournant en cure thermale dans la région de Tœplitz et de Karlsbad, c'est à cette époque qu'il rédigea l'énigmatique Lettre à l'immortelle Bien-aimée et qu'il fit la rencontre infructueuse de Goethe par l'entremise de Bettina Brentano. Pour des raisons qui demeurent mal précisées, ce fut aussi le début d'une longue période de stérilité dans la vie créatrice du musicien. On sait que les années qui suivirent 1812 coïncidèrent avec plusieurs événements dramatiques dans la vie de Beethoven, événements qu'il dut surmonter seul, tous ses amis ou presque ayant quitté Vienne pendant la guerre de 1809, mais rien n'explique entièrement une telle rupture après dix années d'une incroyable fécondité.

         Malgré l’accueil très favorable réservé par le public à la Septième symphonie et à la Victoire de Wellington (décembre 1813), malgré la reprise enfin triomphale de Fidelio dans sa version définitive (mai 1814), Beethoven perdit peu à peu les faveurs de Vienne toujours nostalgique de Mozart et acquise à la musique plus frivole de Rossini. Le tapage fait autour du Congrès de Vienne, où Beethoven était exalté comme musicien national, ne masqua pas longtemps la condescendance grandissante des Viennois à son égard. En outre, le durcissement de la dictature de Metternich le plaça dans une situation délicate, la police viennoise étant depuis longtemps au fait de ses convictions démocratiques et révolutionnaires. Sur le plan personnel, l'événement majeur vint du décès de son frère Kaspar-Karl en 1815. Beethoven qui lui avait promis de diriger l'éducation de son fils Karl dut faire face à une interminable série de procès contre sa belle-sœur pour en obtenir la tutelle exclusive, finalement gagnée en 1820. Malgré toute la bonne volonté et l'attachement sincère du compositeur, ce neveu encombrant allait devenir pour lui, et jusqu'à la veille de sa mort, une source inépuisable de tourment. De ces années sombres, où sa surdité devint totale, seuls émergèrent quelques rares chefs-d’œuvre : les Sonates pour violoncelle n° 4 et 5 dédiées à sa confidente Maria von Erdödy (1815), la Sonate pour piano n° 28 (1816) et le poignant cycle de lieder À la Bien-aimée lointaine (An die ferne Geliebte, 1815-1816), sur des poèmes d'Alois Jeitteles.

         Tandis que sa situation financière devenait de plus en plus préoccupante, Beethoven tomba gravement malade entre 1816 et 1817 et sembla proche du suicide. Pourtant, sa force morale et sa volonté devaient encore une fois reprendre leurs droits. Tourné vers l'introspection et la spiritualité, pressentant l'importance de ce qu'il lui restait à écrire pour « les temps à venir », il trouva la force de surmonter ces épreuves pour entamer une dernière période créatrice qui lui donna probablement ses plus grandes révélations. Neuf ans avant la création de la Neuvième symphonie, Beethoven résumait en une phrase ce qui allait devenir à bien des égards l'œuvre de toute sa vie :

         «Nous, êtres limités à l'esprit illimité, sommes uniquement nés pour la joie et pour la souffrance. Et on pourrait presque dire que les plus éminents s'emparent de la joie au travers de la souffrance.» (Beethoven, 1815)

          Les forces de Beethoven revinrent à la fin de 1817, époque à laquelle il ébaucha une nouvelle sonate qu'il destinait au piano-forte le plus récent (Hammerklavier en allemand), et qu'il envisageait comme la plus vaste de toutes celles qu'il avait composées jusque là. Exploitant jusqu'aux limites des possibilités de l'instrument, durant près de cinquante minutes, la Grande Sonate pour Hammerklavier opus 106 laissa indifférents les contemporains de Beethoven qui la jugèrent injouable et estimèrent que, désormais, la surdité du musicien lui rendait impossible l'appréciation correcte des possibilités sonores. À l'exception de la Neuvième Symphonie, il en fut de même pour l'ensemble des dernières œuvres du maître, dont lui-même avait conscience qu'elles étaient très en avance sur leur temps. Se souciant peu des doléances des interprètes, il déclara à son éditeur en 1819 : « Voilà une sonate qui donnera de la besogne aux pianistes, quand on la jouera dans cinquante ans ». C'est à partir de cette époque que le musicien, enfermé dans sa surdité, dut se résoudre à communiquer avec son entourage par l'intermédiaire de cahiers de conversation qui, si une grande partie en a été détruite ou perdue, constituent aujourd'hui un témoignage irremplaçable sur cette dernière période.

         Beethoven avait toujours été croyant, sans être un pratiquant assidu, mais sa ferveur chrétienne s'accrut notablement au sortir de ces années difficiles, ainsi qu'en témoignèrent les nombreuses citations de caractère religieux qu'il recopia dans ses cahiers à partir de 1817. Au printemps de 1818 lui vint l'idée d'une grande œuvre religieuse qu'il envisageait d'abord comme une messe d'intronisation pour l'archiduc Rodolphe, qui allait être élevé au rang d'archevêque d'Olmütz quelques mois plus tard. Mais la colossale Missa Solemnis en ré majeur réclama au musicien quatre années de travail opiniâtre (1818 - 1822) et la messe ne fut remise à son dédicataire qu'en 1823. Beethoven avait longuement étudié les messes de Bach et Le Messie de Haendel durant la composition de la Missa Solemnis qu'il déclara à plusieurs reprises être « sa meilleure œuvre, son plus grand ouvrage ». Parallèlement à ce travail furent composées les trois dernières Sonates pour piano (n° 30, n° 31 et n° 32) dont la dernière, l'opus 111, s'achève sur une arietta à variations d'une haute spiritualité qui aurait pu être sa dernière page pour piano. Mais il lui restait à composer un ultime chef-d'œuvre pianistique : l'éditeur Anton Diabelli avait invité en 1822 l'ensemble des compositeurs de son temps à écrire une variation sur une valse très simple de sa composition. Après s'être d'abord moqué de cette valse, Beethoven dépassa le but proposé et en tira un recueil de 33 Variations que Diabelli lui-même estima comparable aux célèbres Variations Goldberg de Bach, composées quatre-vingts ans plus tôt.

         La composition de la Neuvième Symphonie débuta au lendemain de l'achèvement de la Missa Solemnis, mais cette œuvre eut une genèse extrêmement complexe dont la compréhension nécessite de remonter à la jeunesse de Beethoven, qui dès avant son départ de Bonn envisageait de mettre en musique l'Ode à la joie de Schiller. À travers son inoubliable finale où sont introduits des chœurs, innovation dans l'écriture symphonique, la Neuvième symphonie apparaissait, dans la lignée de la Cinquième, comme une évocation musicale du triomphe de la joie et de la fraternité sur le désespoir, et prenait la dimension d'un message universel. La symphonie fut créée devant un public en délire le 7 mai 1824, Beethoven renouant un temps avec le succès. C'est en Prusse et en Angleterre, où la renommée du musicien était depuis longtemps à la mesure de son génie, que la symphonie eut le succès le plus fulgurant. Plusieurs fois invité à Londres comme l'avait été Joseph Haydn, Beethoven fut tenté vers la fin de sa vie de voyager en Angleterre, pays qu'il admirait pour sa vie culturelle et pour sa démocratie et qu'il opposait systématiquement à la frivolité de la vie viennoise, mais ce projet ne se réalisa pas et Beethoven ne connut jamais le pays de son idole Haendel. L'influence de ce dernier fut particulièrement sensible dans la période tardive de Beethoven, qui composa dans son style, entre 1822 et 1823, l'ouverture La Consécration de la maison.

         Ce furent les cinq derniers Quatuors à cordes (n° 12, n° 13, n° 14, n° 15, n° 16) qui mirent le point final à la production musicale de Beethoven. Par leur caractère visionnaire, renouant avec des formes anciennes (utilisation du mode lydien dans le Quatuor n° 15), ils marquèrent l'aboutissement des recherches de Beethoven dans la musique de chambre et constituèrent dès lors un des plus grands sommets du genre. Les grands mouvements lents à teneur dramatique (Cavatine du Quatuor n° 13, Chant d'action de grâce sacrée d'un convalescent à la Divinité du Quatuor n° 15) annonçaient le romantisme tout proche. À ces cinq quatuors, composés dans la période 1824 - 1826, il faut encore ajouter la Grande Fugue en si bémol majeur, opus 133, qui était au départ le mouvement conclusif du Quatuor n° 13 mais que Beethoven sépara à la demande de son éditeur. À la fin de l'été 1826, alors qu'il achevait son Quatuor à cordes n° 16, Beethoven projetait encore de nombreuses œuvres : une Dixième symphonie, dont quelques esquisses nous sont parvenues ; une ouverture sur le nom de Bach ; un Faust inspiré de la pièce de Goethe ; un oratorio sur le thème de Saül et David, un autre sur le thème des Éléments ; un Requiem. Mais le 30 juillet 1826, le neveu Karl fit une tentative de suicide. L'affaire fit scandale, et Beethoven bouleversé partit se reposer chez son frère Johann à Gneixendorf dans la région de Krems-sur-le-Danube, en compagnie de son neveu convalescent. C'est là qu'il écrivit sa dernière œuvre, un allegro pour remplacer la Grande Fugue comme finale du Quatuor n° 13.

         Depuis près de 200 ans, un immense mystère entourait les causes de la mort de Beethoven ; cependant, en 2000, le docteur William J. Walsh, directeur du projet de recherche sur Beethoven (Beethoven Research Project), dévoila enfin quelle fut la cause du décès du célèbre compositeur: le saturnisme ou intoxication sévère au plomb. Beethoven, grand amateur de vin du Rhin, avait l'habitude de boire dans une coupe en cristal de plomb, en plus d'ajouter du sel de plomb dans le vin pour le rendre plus sucré. Des résultats de 2000 d'analyse de ses cheveux avaient trouvé des quantités de plomb importantes, et ces résultats ont été confirmés au Argonne National Laboratory près de Chicago grâce à une analyse de fragments crâniens, lesdits fragments ayant été eux-mêmes identifiés par l'ADN. Les quantités de plomb relevées sont effectivement le signe d'une exposition prolongée.

         Cette intoxication au plomb fut la cause des perpétuels maux de ventre qui marquèrent la vie de Beethoven, de ses nombreuses sautes d'humeur et, peut-être, de sa surdité (il n'y a pas de lien formel établi et prouvé entre la surdité de Beethoven et l'intoxication au plomb). Marqués par le délabrement physique, les quatre derniers mois de sa vie furent dramatiques. Jusqu'à la fin le compositeur resta entouré de ses proches amis Anton Schindler et Stephan von Breuning. Quelques semaines avant sa mort il aurait reçu la visite de Franz Schubert, qu'il ne connaissait pas et qu'il regrettait d'avoir découvert si tardivement. C'est à son ami le compositeur Ignaz Moscheles, promoteur de sa musique à Londres, qu'il envoya sa dernière lettre dans laquelle il promettait encore aux Anglais de leur composer une nouvelle symphonie pour les remercier de leur soutien. Mais il était beaucoup trop tard. Le 26 mars 1827 s'éteignit Ludwig van Beethoven, à l'âge de cinquante-six ans. Alors que Vienne ne se souciait plus guère de son sort depuis des mois, ses funérailles, le 29 mars, réunirent un cortège impressionnant de plusieurs milliers d'anonymes. Beethoven repose au cimetière de Vienne.

         «Il sait tout, mais nous ne pouvons pas tout comprendre encore, et il coulera beaucoup d'eau dans le Danube avant que tout ce que cet homme a créé soit généralement compris.» (Schubert, 1827)

Source : Article Ludwig Van BEETHOVEN de Wikipédia
Ludwig Van BEETHOVEN
1770 - 1827