J´en appelle à Bacchus! A Bacchus j´en appelle!
Le tavernier du coin vient d´me la bailler belle.
De son établiss´ment j´étais l´meilleur pilier.
Quand j´eus bu tous mes sous, il me mit à la porte
En disant : " Les poivrots, le diable les emporte! "
Ça n´fait rien, il y a des bistrots bien singuliers...
Un certain va-
Mort, croyant tout de bon que j´ai cessé de vivre
(Vous auriez fait pareil), s´en prit à mes souliers.
Pauvre homme! vu l´état piteux de mes godasses,
Je dout´ qu´il trouve avec son chemin de Damas-
Ça n´fait rien, il y a des passants bien singuliers...
Un étudiant miteux s´en prit à ma liquette
Qui, à la faveur d´la nuit lui avait paru coquette,
Mais en plein jour ses yeux ont dû se dessiller.
Je l´plains de tout mon cœur, pauvre enfant, s´il l´a mise,
Vu que, d´un homme heureux, c´était loin d´êtr´ la ch´mise.
Ça n´fait rien, y a des étudiants bien singuliers...
La femm´ d´un ouvrier s´en prit à ma culotte.
" Pas ça, madam´, pas ça, mille et un coups de bottes
Ont tant usé le fond que, si vous essayiez
D´la mettre à votr´ mari, bientôt, je vous en fiche
Mon billet, il aurait du verglas sur les miches. "
Ça n´fait rien, il y a des ménages bien singuliers...
Et j´étais là, tout nu, sur le bord du trottoir-
Exhibant, malgré moi, mes humbles génitoires.
Une petit´ vertu rentrant de travailler,
Elle qui, chaque soir, en voyait un´ douzaine,
Courut dire aux agents : " J´ai vu que´qu´ chos´ d´obscène! "
Ça n´fait rien, il y a des tapins bien singuliers...
Le r´présentant d´la loi vint, d´un pas débonnaire.
Sitôt qu´il m´aperçut il s´écria : " Tonnerre!
On est en plein hiver et si vous vous geliez! "
Et de peur que j´n´attrape une fluxion d´poitrine,
Le bougre, il me couvrit avec sa pèlerine.
Ça n´fait rien, il y a des flics bien singuliers...
Et depuis ce jour-
Moi, dont le cri de guerr´ fut toujours " Mort aux vaches! "
Plus une seule fois je n´ai pu le brailler.
J´essaye bien encor, mais ma langue honteuse
Retombe lourdement dans ma bouche pâteuse.
Ça n´fait rien, nous vivons un temps bien singulier...
Les copains affligés, les copines en pleurs
La boîte à dominos enfouie sous les fleurs
Tout le monde équipé de sa tenue de deuil
La farce était bien bonne et valait le coup d´œil
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
L´enterrement paraissait officiel. Bravo!
Le mort ne chantait pas : "Ah! c´qu´on s´emmerde ici!"
Il prenait son trépas à cœur, cette fois-
Et les bonshomm´s chargés de la levée du corps
Ne chantaient pas non plus "Saint-
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo!
Ce n´étaient pas du tout des filles en tutu
Avec des fess´s à claque et des chapeaux pointus
Les commères choisies pour les cordons du poêle
Et nul ne leur criait: "A poil! A poil! A poil!"
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
Les pleureuses sanglotaient pour de bon. Bravo!
Le curé n´avait pas un goupillon factice
Un de ces goupillons en forme de phallus
Et quand il y alla de ses de profondis
L´enfant de chœur répliqua pas morpionibus
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
Le curé venait pas de Camaret. Bravo!
On descendit la bière et je fus bien déçu
La blague maintenant frisait le mauvais goût
Car le mort se laissa jeter la terr´ dessus
Sans lever le couvercle en s´écriant "Coucou!"
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
Le cercueil n´était pas à double fond. Bravo!
Quand tout fut consommé, je leur ai dit : "Messieurs
Allons faire à présent la tournée des boxons!"
Mais ils m´ont regardé avec de pauvres yeux
Puis ils m´ont embrassé d´une étrange façon
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
Leur compassion semblait venir du cœur. Bravo!
Quand je suis ressorti de ce champ de navets
L´ombre de l´ici-
Une petite croix de trois fois rien du tout
Faisant, à elle seul´, de l´ombre un peu partout
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
Les revenants s´en mêlaient à leur tour. Bravo!
J´ai compris ma méprise un petit peu plus tard
Quand, allumant ma pipe avec le faire-
J´m´aperçus que mon nom, comm´ celui d´un bourgeois
Occupait sur la liste une place de choix
Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut
J´étais le plus proch´ parent du défunt. Bravo!
Adieu! les faux tibias, les crânes de carton
Plus de marche funèbre au son des mirlitons
Au grand bal des quat´z´arts nous n´irons plus danser
Les vrais enterrements viennent de commencer
Nous n´irons plus danser au grand bal des quat´z´arts
Viens, pépère, on va se ranger des corbillards
Les amoureux des bancs publics
Les gens qui voient de travers
Pensent que les bancs verts
Qu´on voit sur les trottoirs
Sont faits pour les impotents ou les ventripotents
Mais c´est une absurdité
Car à la vérité
Ils sont là c´est notoire
Pour accueillir quelque temps les amours débutants
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´disant des "Je t´aime" pathétiques
Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques
Ils se tiennent par la main
Parlent du lendemain
Du papier bleu d´azur
Que revêtiront les murs de leur chambre à coucher
Ils se voient déjà doucement
Ell´ cousant, lui fumant
Dans un bien-
Et choisissent les prénoms de leur premier bébé
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´disant des "Je t´aime" pathétiques
Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques
Quand la saint´ famill´ machin
Croise sur son chemin
Deux de ces malappris
Ell´ leur décoche hardiment des propos venimeux
N´empêch´ que tout´ la famille
Le pèr´, la mèr´, la fille
Le fils, le Saint Esprit
Voudrait bien de temps en temps pouvoir s´conduir´ comme eux
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´disant des "Je t´aime" pathétiques
Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques
Quand les mois auront passé
Quand seront apaisés
Leurs beaux rêves flambants
Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds
Ils s´apercevront émus
Qu´ c´est au hasard des rues
Sur un d´ces fameux bancs
Qu´ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s´disant des "Je t´aime" pathétiques
Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques
Moi, mes amours d´antan c´était de la grisette
Margot, la blanche caille, et Fanchon, la cousette...
Pas la moindre noblesse, excusez-
C´étaient, me direz-
Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière...
Mon prince, on a les dam´s du temps jadis -
Car le cœur à vingt ans se pose où l´œil se pose,
Le premier cotillon venu vous en impose,
La plus humble bergère est un morceau de roi.
Ça manquait de marquise, on connut la soubrette,
Faute de fleur de lys on eut la pâquerette,
Au printemps Cupidon fait flèche de tout bois...
On rencontrait la belle aux Puces, le dimanche :
"Je te plais, tu me plais..." et c´était dans la manche,
Et les grands sentiments n´étaient pas de rigueur.
"Je te plais, tu me plais. Viens donc beau militaire"
Dans un train de banlieue on partait pour Cythère,
On n´était pas tenu même d´apporter son cœur...
Mimi, de prime abord, payait guère de mine,
Chez son fourreur sans doute on ignorait l´hermine,
Son habit sortait point de l´atelier d´un dieu...
Mais quand, par-
Elle jetait pour vous sa parure simplette,
C´est Psyché tout entier´ qui vous sautait aux yeux.
Au second rendez-
Elle avait fait faux bond, la petite amazone,
Mais l´on ne courait pas se pendre pour autant...
La marguerite commence avec Suzette,
On finissait de l´effeuiller avec Lisette
Et l´amour y trouvait quand même son content.
C´étaient, me direz-
Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière,
Mais c´étaient mes amours, excusez-
Des Manon, des Mimi, des Suzon, des Musette,
Margot la blanche caille, et Fanchon, la cousette,
Mon prince, on a les dam´s du temps jadis -
Tant qu´elle a besoin du matou,
Ma chatte est tendre comme tout,
Quand elle est comblée, aussitôt
Ell´ griffe, ell´ mord, ell´ fait l´gros dos.
{Refrain:}
Quand vous ne nous les caressez
Pas, chéries, vous nous les cassez.
Oubliez-
Qu´ell´s se reposent.
Quand vous nous les dorlotez pas,
Vous nous les passez à tabac.
Oubliez-
Qu´ell´s se reposent un peu,
Qu´ell´s se reposent.
Enamourée, ma femme est douce,
Mes amis vous le diront tous.
Après l´étreinte, en moins de deux
Ell´ r´devient un bâton merdeux.
Dans l´alcôve, on est bien reçus
Par la voisine du dessus.
Un´ fois son désir assouvi,
Ingrate, ell´ nous les crucifie.
Quand ell´ passe en revue les zouaves
Ma sœur est câline et suave.
Dès que s´achève l´examen,
Gare à qui tombe sous sa main.
Si tout le monde en ma maison
Reste au lit plus que de raison,
C´est pas qu´on soit lubriqu´s, c´est qu´il
Y a guère que là qu´on est tranquilles.
Non, ce n´était pas le radeau
De la Méduse, ce bateau
Qu´on se le dise au fond des ports
Dise au fond des ports
Il naviguait en père peinard
Sur la grand-
Et s´app´lait les Copains d´abord
Les Copains d´abord
Ses fluctuat nec mergitur
C´était pas d´la littérature
N´en déplaise aux jeteurs de sort
Aux jeteurs de sort
Son capitaine et ses mat´lots
N´étaient pas des enfants d´salauds
Mais des amis franco de port
Des copains d´abord
C´étaient pas des amis de luxe
Des petits Castor et Pollux
Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe
C´étaient pas des amis choisis
Par Montaigne et La Boétie
Sur le ventre ils se tapaient fort
Les copains d´abord
C´étaient pas des anges non plus
L´Évangile, ils l´avaient pas lu
Mais ils s´aimaient toutes voiles dehors
Toutes voiles dehors
Jean, Pierre, Paul et compagnie
C´était leur seule litanie
Leur credo, leur confiteor
Aux copains d´abord
Au moindre coup de Trafalgar
C´est l´amitié qui prenait l´quart
C´est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord
Et quand ils étaient en détresse
Qu´leurs bras lançaient des S.O.S.
On aurait dit des sémaphores
Les copains d´abord
Au rendez-
Y avait pas souvent de lapins
Quand l´un d´entre eux manquait à bord
C´est qu´il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l´eau n´se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore
Des bateaux j´en ai pris beaucoup
Mais le seul qui ait tenu le coup
Qui n´ait jamais viré de bord
Mais viré de bord
Naviguait en père peinard
Sur la grand-
Et s´app´lait les Copains d´abord
Les Copains d´abord
C´était l´oncle Martin, c´était l´oncle Gaston
L´un aimait les Tommies, l´autre aimait les Teutons
Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts
Moi, qui n´aimais personne, eh bien! je vis encor
Maintenant, chers tontons, que les temps ont coulé
Que vos veuves de guerre ont enfin convolé
Que l´on a requinqué, dans le ciel de Verdun
Les étoiles ternies du maréchal Pétain
Maintenant que vos controverses se sont tues
Qu´on s´est bien partagé les cordes des pendus
Maintenant que John Bull nous boude, maintenant
Que c´en est fini des querelles d´Allemand
Que vos fill´s et vos fils vont, la main dans la main
Faire l´amour ensemble et l´Europ´ de demain
Qu´ils se soucient de vos batailles presque autant
Que l´on se souciait des guerres de Cent Ans
On peut vous l´avouer, maintenant, chers tontons
Vous l´ami les Tommies, vous l´ami des Teutons
Que, de vos vérités, vos contrevérités
Tout le monde s´en fiche à l´unanimité
De vos épurations, vos collaborations
Vos abominations et vos désolations
De vos plats de choucroute et vos tasses de thé
Tout le monde s´en fiche à l´unanimité
En dépit de ces souvenirs qu´on commémor´
Des flammes qu´on ranime aux monuments aux Morts
Des vainqueurs, des vaincus, des autres et de vous
Révérence parler, tout le monde s´en fout
La vie, comme dit l´autre, a repris tous ses droits
Elles ne font plus beaucoup d´ombre, vos deux croix
Et, petit à petit, vous voilà devenus
L´Arc de Triomphe en moins, des soldats inconnus
Maintenant, j´en suis sûr, chers malheureux tontons
Vous, l´ami des Tommies, vous, l´ami des Teutons
Si vous aviez vécu, si vous étiez ici
C´est vous qui chanteriez la chanson que voici
Chanteriez, en trinquant ensemble à vos santés
Qu´il est fou de perdre la vie pour des idées
Des idées comme ça, qui viennent et qui font
Trois petits tours, trois petits morts, et puis s´en vont
Qu´aucune idée sur terre est digne d´un trépas
Qu´il faut laisser ce rôle à ceux qui n´en ont pas
Que prendre, sur-
C´est de la bouillie pour les chats et pour les chiens
Qu´au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi
Mieux vaut attendre un peu qu´on le change en ami
Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main
Mieux vaut toujours remettre une salve à demain
Que les seuls généraux qu´on doit suivre aux talons
Ce sont les généraux des p´tits soldats de plomb
Ainsi, chanteriez-
Malbrough qui va-
O vous, qui prenez aujourd´hui la clé des cieux
Vous, les heureux coquins qui, ce soir, verrez Dieu
Quand vous rencontrerez mes deux oncles, là-
Offrez-
Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin
Un p´tit forget me not pour mon oncle Martin
Un p´tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston
Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons...
Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain
De bonne grâce ils en f´saient profiter les copains
" Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez l´pleurer avec nous sur le coup de midi... "
Mais les vivants aujourd´hui n´sont plus si généreux
Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux
C´est la raison pour laquell´, depuis quelques années
Des tas d´enterrements vous passent sous le nez
Mais où sont les funéraill´s d´antan?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu´-
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r´verra plus
Et c´est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans
Maintenant, les corbillards à tombeau grand ouvert
Emportent les trépassés jusqu´au diable vauvert
Les malheureux n´ont mêm´ plus le plaisir enfantin
D´voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin
L´autre semain´ des salauds, à cent quarante à l´heur´
Vers un cimetièr´ minable emportaient un des leurs
Quand, sur un arbre en bois dur, ils se sont aplatis
On s´aperçut qu´le mort avait fait des petits
Mais où sont les funéraill´s d´antan?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu´-
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r´verra plus
Et c´est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans
Plutôt qu´d´avoir des obsèqu´s manquant de fioritur´s
J´aim´rais mieux, tout compte fait, m´passer de sépultur´
J´aim´rais mieux mourir dans l´eau, dans le feu, n´importe où
Et même, à la grand´ rigueur, ne pas mourir du tout
O, que renaisse le temps des morts bouffis d´orgueil
L´époque des m´as-
Où, quitte à tout dépenser jusqu´au dernier écu
Les gens avaient à cœur d´mourir plus haut qu´leur cul
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul
Quand je vais chez la fleuriste
Je n´achète que des lilas
Si ma chanson chante triste
C´est que l´amour n´est plus là
Comme j´étais, en quelque sorte
Amoureux de ces fleurs-
Je suis entré par la porte
Par la porte des Lilas
Des lilas, y en n´avait guère
Des lilas, y en n´avait pas
Z´étaient tous morts à la guerre
Passés de vie à trépas
J´suis tombé sur une belle
Qui fleurissait un peu là
J´ai voulu greffer sur elle
Mon amour pour les lilas
J´ai marqué d´une croix blanche
Le jour où l´on s´envola
Accrochés à une branche
Une branche de lilas
Pauvre amour, tiens bon la barre
Le temps va passer par là
Et le temps est un barbare
Dans le genre d´Attila
Aux cœurs où son cheval passe
L´amour ne repousse pas
Aux quatre coins de l´espace
Il fait l´désert sous ses pas
Alors, nos amours sont mortes
Envolées dans l´au-
Laissant la clé sous la porte
Sous la porte des Lilas
La fauvette des dimanches
Celle qui me donnait le la
S´est perchée sur d´autres branches
D´autres branches de lilas
Quand je vais chez la fleuriste
Je n´achète que des lilas
Si ma chanson chante triste
C´est que l´amour n´est plus là
Oh! vie heureuse des bourgeois! Qu´avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne;
Ca lui suffit, il sait que l´amour n´a qu´un temps.
Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : "C´est là que je suis née;
Je meurs près de ma mère et j´ai fait mon devoir."
Elle a fait son devoir! C´est-
Elle n´eut de souhait impossible, elle n´eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L´emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.
Et tous sont ainsi faits! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-
Ce canard n´a qu´un bec, et n´eut jamais envie
Ou de n´en plus avoir ou bien d´en avoir deux.
Ils n´ont aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Possèdent pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans!
Oh! les gens bienheureux!... Tout à coup, dans l´espace,
Si haut qu´il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-
Regardez-
Ils vont où leur désir le veut, par-
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L´air qu´ils boivent feraient éclater vos poumons.
Regardez-
Plus d´un, l´aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.
Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d´azur, des poètes, des fous.
{x2:}
Regardez-
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu´eux.
Et le peu qui viendra d´eux à vous, c´est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu´on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu´on connait à peine
Qu´un destin différent entraîne
Et qu´on ne retrouve jamais
A celle qu´on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s´évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu´on en demeure épanoui
A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu´on est seul, peut-
Et qu´on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main
A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulu rester inconnue
Et qui n´est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal
A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d´un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D´un avenir désespérant
Chères images aperçues
Espérances d´un jour déçues
Vous serez dans l´oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu´on se souvienne
Des épisodes du chemin
Mais si l´on a manqué sa vie
On songe avec un peu d´envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu´on n´osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu´on n´a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l´on n´a pas su retenir
Les invalid´s chez nous, l´revers de leur médaille
C´est pas d´être hors d´état de suivr´ les fill´s, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir retourner au champ de bataille.
Le rameau d´olivier n´est pas notre symbole, non!
Ce que, par-
C´est pas d´être hors d´état d´se rincer l´œil, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir lorgner le drapeau tricolore.
La ligne bleue des Vosges sera toujours notre horizon.
Et les sourds de chez nous, s´ils sont mélancoliques,
C´est pas d´être hors d´état d´ouïr les sirènes, cré de nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir entendre au défilé d´la clique,
Les échos du tambour, de la trompette et du clairon.
Et les muets d´chez nous, c´qui les met mal à l´aise
C´est pas d´être hors d´état d´conter fleurette, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir reprendre en chœur la Marseillaise.
Les chansons martiales sont les seules que nous entonnons.
Ce qui de nos manchots aigrit le caractère,
C´est pas d´être hors d´état d´pincer les fess´s, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir faire le salut militaire.
jamais un bras d´honneur ne sera notre geste, non!
Les estropiés d´chez nous, ce qui les rend patraques,
C´est pas d´être hors d´état d´courir la gueus´, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir participer à une attaque.
On rêve de Rosalie, la baïonnette, pas de Ninon.
C´qui manque aux amputés de leurs bijoux d´famille,
C´est pas d´être hors d´état d´aimer leur femm´, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir sabrer les belles ennemies.
La colomb´ de la paix, on l´apprête aux petits oignons.
Quant à nos trépassés, s´ils ont tous l´âme en peine,
C´est pas d´être hors d´état d´mourir d´amour, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir se faire occire à la prochaine.
Au monument aux morts, chacun rêve d´avoir son nom.